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La Montagne du Désir


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7 réponses à ce sujet

#1 Inti

Inti

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Posté 21 mars 2007 - 05:28

Je crois à la complémentarité expressive des différents arts. Il me semble qu’aucun art ne peut à lui seul canaliser le fleuve sensible de l’homme. Il faut remonter ses flots jusqu’aux flancs de la sombre montagne du désir pour comprendre la tuyauterie complexe des mécanismes canalisateurs de l’art. En gravissant les pentes dévastées, on traverse plusieurs affluents, jaillis du cœur de la roche grondante. C’est l’eau de ces rivières que puisent les arts, avant qu’elle ne se mêle au tumulte du torrent, pour la magnifier dans une alchimie subtile. C’est ainsi que lorsque la crue menace l’esprit de noyade, la machinerie artistique se met en marche, régulant le débit de chacun des affluents. Mais remontons ensemble les berges de notre fleuve intérieur.

Nous voilà aux contreforts de la montagne de jais. Les flots sont sombres et insondables, peuplés d’innombrables reflets, spectres sans cesse torturés, tantôt grimaçants et terribles, tantôt chatoyants d’onirisme ; toujours grisants de beauté. Mais ne nous laissons pas envoûter par leurs tourbillons. Gardez-vous de trop vous pencher vers les courants hypnotiques. Ils vous happeraient. Suivons notre exploration. Nous entamons l’escalade des pentes éboulées aux angles tranchants. La masse liquide, saturée de couleurs, dévale et rugit à nos côtés. Apercevez-vous le premier embranchement ? Levez légèrement les yeux. Nous y sommes presque.

Voici la rivière Diamant. Ses eaux sont plus limpides que l’air, brillent comme le miroir. Leur source est profondément enfouie au cœur de la roche, dans les hauteurs. Elles ont alors traversé des filtres à la trame si fine qu’en leur sein ne subsistent que les féeries les plus éthérées, les émotions les plus subtiles, qui forment une délicate pellicule à la surface de l’onde. L’univers s’y reflète en irisations translucides, auxquelles le pinceau du peintre puise ses mille couleurs.

Franchissons sans le troubler ce ruisseau gracile et suivons notre ascension. Les courbes capricieuses du torrent nous dévoilent bientôt un deuxième bras, qui plonge ses tentacules insatiables dans le roc. La rivière Saphir. Ses méandres ont la couleur de l’infini. Un bleu plus grave que celui des nuits les plus pures. Et les reflets à sa surface sont ceux d’un océan sans ride se couvrant d’argent sous les caresses de la Lune. C’est qu’elle prend source dans les espaces cosmiques sur lesquels repose la conscience. Elle est peuplée de songes, de chimères et de la voix ancestrale des contes. Ses eaux sont l’encre qui coule dans la plume du poète.

Quelques dizaines de mètres plus haut se trouve la rivière Emeraude. Le courant qui l’anime est si vif que son chant couvre celui du torrent. Les eaux ondulent en tresses et dégagés, cambrent et enroulent leurs mèches, translucides, teintées de tous les verts de la forêt. Leur source est un geyser. L’énergie du flot se libère dans un ballet frénétique et gracieux, tel une nuée ardente, jaillie d’une brèche béante dans la paroi. Si on plongeait dans les profondeurs de cette gueule vomissante, on pénétrerait des poches de magma sensible ou les remous sont d’une violence telle qu’elle prend une dimension physique impérieuse. Ce sont les vagues et les tremblements de la rivière Emeraude qu’épousent les mouvements de la danse et du théâtre.


Nous contournerons le geyser et poursuivrons notre quête le long du torrent. Ses eaux sont à présent écarlates. La route est longue et ardue jusqu’à la cime embrumée de la montagne du désir. Sentez-vous sa roche qui frémit ? La chaleur qui s’en dégage ? Son cœur bat en dessous de nous. C’est sa poitrine que vos pieds foulent. Voyez : le jais prend des nuances sanguines.

Nous voilà au terme de notre voyage. Le torrent que nous suivions naît dans les ténèbres de cette grotte enclavée dans la roche brûlante et pourpre du sommet. C’est la rivière Rubis, aux flots de sang. Ce sont en fait des myriades de ruisseaux qui glissent, sensuels, le long des parois, vibrants dans mille mélodies aux palpitations du cœur de la montagne, que l’on pressent derrière l’obscurité. Leurs voix se rejoignent et se mêlent en une harmonie grandiose qui tombe en cascade dans les escarpements du roc. Chacun de ces filets pourra s’accrocher aux lignes d’une portée, trembler le long de la corde d’un violon, emplir nos poitrines et nos voix, et les gouttes écarlates distillées par les cascades s’écraseront sur la peau tendue d’un tambour.



N.B. Il n’est pas rare que les eaux du torrent soient si impétueuses qu’elles remontent le cours des rivières et les envahissent de leur tumulte sombre. Ainsi la rivière Diamant peut parfois prendre les teintes les plus ténébreuses de l’effroi. J’appellerai cela le syndrome de Goya.

#2 ornithorynque

ornithorynque

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Posté 22 mars 2007 - 12:19

Je crois à la complémentarité expressive des différents arts. Il me semble qu'aucun art ne peut à lui seul canaliser le fleuve sensible de l'homme. Il faut remonter ses flots jusqu'aux flancs de la sombre montagne du désir pour comprendre la tuyauterie complexe des mécanismes canalisateurs de l'art. En gravissant les pentes dévastées, on traverse plusieurs affluents, jaillis du cœur de la roche grondante. C'est l'eau de ces rivières que puisent les arts, avant qu'elle ne se mêle au tumulte du torrent, pour la magnifier dans une alchimie subtile. C'est ainsi que lorsque la crue menace l'esprit de noyade, la machinerie artistique se met en marche, régulant le débit de chacun des affluents. Mais remontons ensemble les berges de notre fleuve intérieur.

Nous voilà aux contreforts de la montagne de jais. Les flots sont sombres et insondables, peuplés d'innombrables reflets, spectres sans cesse torturés, tantôt grimaçants et terribles, tantôt chatoyants d'onirisme ; toujours grisants de beauté. Mais ne nous laissons pas envoûter par leurs tourbillons. Gardez-vous de trop vous pencher vers les courants hypnotiques. Ils vous happeraient. Suivons notre exploration. Nous entamons l'escalade des pentes éboulées aux angles tranchants. La masse liquide, saturée de couleurs, dévale et rugit à nos côtés. Apercevez-vous le premier embranchement ? Levez légèrement les yeux. Nous y sommes presque.

Voici la rivière Diamant. Ses eaux sont plus limpides que l'air, brillent comme le miroir. Leur source est profondément enfouie au cœur de la roche, dans les hauteurs. Elles ont alors traversé des filtres à la trame si fine qu'en leur sein ne subsistent que les féeries les plus éthérées, les émotions les plus subtiles, qui forment une délicate pellicule à la surface de l'onde. L'univers s'y reflète en irisations translucides, auxquelles le pinceau du peintre puise ses mille couleurs.

Franchissons sans le troubler ce ruisseau gracile et suivons notre ascension. Les courbes capricieuses du torrent nous dévoilent bientôt un deuxième bras, qui plonge ses tentacules insatiables dans le roc. La rivière Saphir. Ses méandres ont la couleur de l'infini. Un bleu plus grave que celui des nuits les plus pures. Et les reflets à sa surface sont ceux d'un océan sans ride se couvrant d'argent sous les caresses de la Lune. C'est qu'elle prend source dans les espaces cosmiques sur lesquels repose la conscience. Elle est peuplée de songes, de chimères et de la voix ancestrale des contes. Ses eaux sont l'encre qui coule dans la plume du poète.

Quelques dizaines de mètres plus haut se trouve la rivière Emeraude. Le courant qui l'anime est si vif que son chant couvre celui du torrent. Les eaux ondulent en tresses et dégagés, cambrent et enroulent leurs mèches, translucides, teintées de tous les verts de la forêt. Leur source est un geyser. L'énergie du flot se libère dans un ballet frénétique et gracieux, tel une nuée ardente, jaillie d'une brèche béante dans la paroi. Si on plongeait dans les profondeurs de cette gueule vomissante, on pénétrerait des poches de magma sensible ou les remous sont d'une violence telle qu'elle prend une dimension physique impérieuse. Ce sont les vagues et les tremblements de la rivière Emeraude qu'épousent les mouvements de la danse et du théâtre.


Nous contournerons le geyser et poursuivrons notre quête le long du torrent. Ses eaux sont à présent écarlates. La route est longue et ardue jusqu'à la cime embrumée de la montagne du désir. Sentez-vous sa roche qui frémit ? La chaleur qui s'en dégage ? Son cœur bat en dessous de nous. C'est sa poitrine que vos pieds foulent. Voyez : le jais prend des nuances sanguines.

Nous voilà au terme de notre voyage. Le torrent que nous suivions naît dans les ténèbres de cette grotte enclavée dans la roche brûlante et pourpre du sommet. C'est la rivière Rubis, aux flots de sang. Ce sont en fait des myriades de ruisseaux qui glissent, sensuels, le long des parois, vibrants dans mille mélodies aux palpitations du cœur de la montagne, que l'on pressent derrière l'obscurité. Leurs voix se rejoignent et se mêlent en une harmonie grandiose qui tombe en cascade dans les escarpements du roc. Chacun de ces filets pourra s'accrocher aux lignes d'une portée, trembler le long de la corde d'un violon, emplir nos poitrines et nos voix, et les gouttes écarlates distillées par les cascades s'écraseront sur la peau tendue d'un tambour.



N.B. Il n'est pas rare que les eaux du torrent soient si impétueuses qu'elles remontent le cours des rivières et les envahissent de leur tumulte sombre. Ainsi la rivière Diamant peut parfois prendre les teintes les plus ténébreuses de l'effroi. J'appellerai cela le syndrome de Goya.



#3 ornithorynque

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Posté 22 mars 2007 - 12:24

Ces rivieres de l'Heritage Poetique m'ont inspire un jour cette vision apocalyptique.. Aurelire! ;)

---

Il neige sur une île lointaine ceinturée d'aboiteaux. N'y habitent que les âmes nées dans la peur. Je suis retardataire, ainsi qu'on le dit de mes frères. Avec eux j'ai longtemps trembloté sur la haute banquette, intrigué par le rouge qui envahissait la Marmite du Grand Commencement et le bras d'eau vive qui en relevait l'anse. J'enviais dans mon hésitation ceux qui plongeaient en hurlant 'À moi!'. Mais un bras fort m'a enfin fait opter pour le plongeon et le choc contagieux de lourdes gouttelettes contre les cuisses de trois maîtresses aux chevelures débordantes: Passion, Action et Raison, gardiennes de naissance. Étourdies par le roc-en-bulles, elles jouaient d'un malheur à l'odeur de terre chaude, dans l'attente du Grand Déversement, prêtes aurait-on dit à venger le sort des eaux originelles. C'est ainsi que j'ai dû retarder le moment de ma naissance et mirer mes paumes rosées dans un Bouillon Vital alors à court d'âmes. Les plongeurs de la première heure avaient rejoint des filets de poussières attachés au soleil et fui le désordre qui attendait les suivants à la bouche de la cuvée. Ces derniers sont malvenus sur le sol du non convenu et comme eux, je dus naître écartelé. La magie, faite prisonnière, naturalisée. Dans une minute à peu près exemplaire, les bras de Passion s'affairèrent d'abord dans mon tronc charivari. C'est une traînée de veines qu'ils déroulèrent aussi lestement sur des chariots de bestioles agacées et qu'ils balancèrent en route dans des vapeurs incestueuses (si l'air ambiant doit une certaine gratitude au bras d'eau vive pour le sauver de recettes obligées à trop de paris). Dans le même élan la maîtresse incendiait les pontons ouverts sur des fleuves de sable. Elle y plantait des corps qui geignaient dans d'étranges tonalités. Ces misérables avaient entre eux certains rapports et leur refus de s'abandonner aux déserts mouvants semblait exciter les membres fasciés de la gardienne qui allaient l'amble pour survivre dans ceux de leur choix. Action n'était pas moins résolue et portait un fayard hasté qu'elle écimait à la seconde, le temps d'une repousse instantanée. Tantôt humaine, tantôt végétale. Elle se donnait bien des couleurs à faucher les ombres déloyales et à s'allier au Poignet Ardent qui par cent fois avait surpris mes bras et jambes, enroulés au sommet du donneur d'ombres. Un choc vicieux racontait que l'obstination d'Action se nourrit du cou d'un père quelconque et qu'elle ne se distrait qu'entre deux lampées de sève de bonne prise. Elle libère alors des soubresauts de mort - et son cercueil est immense, insistait-il. On pouvait y toucher parmi d'autres mes yeux griffés qui tanguaient dans les orbites de Raison, ce qui étonnait d'autant plus la maîtresse que ces phares désolés prenaient souci d'une famille de rêves échafaudés dans le plus grand secret. Ce fut l'unique victoire. Comme une mère au ventre fait pour l'amour, Raison s'était bien armée d'un peu de soleil arraché au matin. Elle remaquilla l'avenir de Passion et d'Action pour s'en moquer à la fin du jour: derrière les aboiteaux, les comparses avaient déjà peint la mer.

#4 hasia

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Posté 23 mars 2007 - 02:08

Nous aimons la luxuriance onirique de la pensée créatrice.
Les reflets subtils de "la traversée"sont
succession d'enchantements.

#5 Carla.

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Posté 26 mars 2007 - 10:43

Le syndrome de Goya...Voilà une maladie aux nombreux méandres, lol...L'homme comme un fleuve sensible, décliné en eaux plus ou moins impétueuses, c'est une belle image...

#6 Inti

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Posté 26 mars 2007 - 06:44

Merci à tous pour vos lectures courageuses...

Martin D, je me suis laissé couler délicieusement lelong des noeuds serpentins, que tressent tes trois maîtresses implaccables. Au relire...

A nos méandres,

Inti

#7 Paname

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Posté 04 avril 2007 - 11:05

[quote name='Inti' date='Mar 26 2007, 05:44 PM' post='5996']

Très beau et très fort parcours quasi initiatique, qui m'avait échappé.
Impressionnante richesse de vocabulaire, dans beaucoup de domaines.
Bravo, Inti ! Tu nous a offert là une bien bonne lecture.

Amicalement, Paname

#8 Inti

Inti

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Posté 05 avril 2007 - 10:08

Merci beaucoup pour ta lecture, Paname. Les courageux pour les textes de ce type ne sont pas foule sur TLP...

Bien à toi,

Inti