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André Laude


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#1 Invité_Marcel Faure_*

Invité_Marcel Faure_*
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Posté 24 décembre 2016 - 01:44

André Laude 1936-1995

 

            Né à Paris il renouera avec ses origines occitanes. Son œuvre en sera imprégnée. Il rêve de devenir journaliste mais vivra le plus souvent chichement de petits métiers et il contribuera à quelques journaux par des articles critiques ou par des chroniques.

            Militant anarchiste, toute sa poésie sera traversée par sa révolte viscérale contre la société. Pour lui, la poésie " est le produit d’une activité générale qui met en cause l’esprit, les sens, le sexe, la peau, et aussi l’histoire de l’individu, l’histoire collective.", son objectif étant de renverser l'ordre établi. Son écriture directe s'adresse à tous mais la forme poétique lui donne une force qui interpelle :

" Si j’écris c’est pour que ma voix vous arrache

au grabat des solitaires, aux cauchemars des murs

aux durs travaux des mains nageant dans la lumière jaune du désespoir …"

et dépasse ainsi la portée immédiate de son propos. Mais sa poésie, c'est aussi ses racines occitanes, la ville, l'amitié … Il écrira en outre plusieurs recueils pour les enfants.

Cette poésie qui nous brûle, nous consume, nous traverse comme un souffle, nous fait ressentir en même temps son rythme, ses doutes et épouse profondément les couleurs de l'humanité.

 

Si j'écris

Si j’écris c’est pour que ma voix vous parvienne

voix de chaux et sang voix d’ailes et de fureurs

goutte de soleil ou d’ombre dans laquelle palpitent nos sentiments

 

si j’écris c’est pour que ma voix vous arrache

au grabat des solitaires, aux cauchemars des murs

aux durs travaux des mains nageant dans la lumière jaune du désespoir

 

si j’écris c’est pour que ma voix où roulent souvent des torrents de blessures s’enracine dans vos paumes vivantes, couvre les poitrines d’une fraîcheur de jardin balaie dans les villes les fantômes sans progéniture

 

si j’écris c’est pour que ma voix d’un bond d’amour

atteigne les visages détruits par la longue peine le sel de la fatigue

c’est pour mieux frapper l’ennemi qui a plusieurs noms.

 

 In Vers le matin des cerises

 

En traversant le pays des morts

 

En traversant le pays des morts

en route vers Aden les terres d’Arthur Rimbaud.

Je suce mes doigts à cause de la soif

de la malaria, du cancer des os.

Je songe à la Bretagne,

aux femmes aux hautes coiffes.

Je songe aux piroguiers du fleuve Zaïre.

Je songe aux oiseaux bariolés d’Amazonie.

Je songe au sexe chaud de l’indienne

à la tombée de la nuit.

Je songe à une espèce de poème

déclamé par un fou de génie

qui ferait taire les perroquets verts.

 

** ** **

 

Avec ma gueule de métèque

je marche le long des grands boulevards

de l’Europe de l’Ouest sclérosée

à la peau du ventre fripée

Je suis juif de Lodz

j’ai quitté

il y a

à peu près un siècle

le Shettl natal

pour devenir

raccommodeur de vieux vêtements

rue des Ecouffes

fidèle client

de la synagogue

et du bistrot

de Goldenberg

Je m’appelle

Moshé Isaac Lewinshon

Je suis kabyle

du Ravin de la femme sauvage

je balaie les feuilles mortes d’octobre

en récitant du Prévert

L’été je vide les poubelles

c’est beau

Paris à cinq heures du matin

dans l’Ile-Saint-Louis

Là-bas m’attendent

femmes et enfants

je reviendrai un jour

au douar

riche et tuberculeux

Je m’appelle Mohamed Larbi

Fils de la Kahena

Enfant du grand désordre

Je suis nègre

du pays des grands fétiches

et des lacs profonds, brûlants

aux poissons lourds

chez Renault Billancourt

je travaille à la chaîne

À la pause de midi

je tape sur les vieux bidons

cabossés

et ça fait rire les copains français

qui entre eux à voix basse

prétendent

que j’ai bouffé mes grands-parents

Je suis nègre

syndiqué

il y a des femmes blanches

que je désire

en silence

Je m’appelle Abou Diouf

et il paraît

que j’ai vingt-trois ans

je ne bois jamais

car je suis bon musulman

et les autres se mettent en colère

parce que je refuse de me saoûler

en leur compagnie

quand tombe la nuit

sur Pantin Saint-Ouen

Bagneux Ivry

rue Saint-Denis

Avec ma gueule de métèque

je marche le long des grands boulevards

de la civilisation occidentale

j’ai toujours peur

des flics qui cognent

tâtent sournoisement

sous mon imperméable

j’ai toujours peur

des regards haineux

des sourires des mères

qui promènent

leur progéniture

j’ai toujours peur

des néons

de la foule

des bagnoles qui me frôlent

des feux rouges

des fins de journées

des patrons de cafés

et de leurs chiens-loups

J’ai toujours peur

dans le métro

au BHV

dans la rue

dans ma chambre

propre et triste

nue

J’a toujours peur

de mon visage

dans le regard de l’autre

J’ai toujours peur parce qu’obscurément je sais

que je suis coupable

coupable de tout

Pensez :

Je viens d’ailleurs

Ma voix est rauque

je suis différent

Mon sang

a coulé

d’un feuillage inconnu

ici

J’ai toujours peur

Et pourtant

j’aimerais avec chacun

parler

de la pluie

et du beau temps

leur montrer à tous

les vieilles photos jaunies

de là-bas

du pays

Mais je ne peux pas

faire le premier geste

car j’ai toujours peur

Mais je vous demande

Pardon

Le Fou parle n°12 – mars 1980

 

Un flamant qui n'était pas des Flandres

Un jour dina avec un flamand

De son état savant. Ils furent si contents

Qu'ils décidèrent d'écrire ensemble

Un roman pour les petits enfants

Animalphabet   1977