On entend souvent dire : « il n'y a pas de hasard ! ». On sourit, alors, avec une sorte de compassion, une sorte de condescendance envers notre interlocuteur, envers sa croyance naïve, attendrissante. Jusqu'au jour où, soi-même, par hasard, on apprend, à ses dépens, à ne pas sous-estimer le hasard, à ne pas le considérer comme une péripétie superflue, une conjonction arbitraire et sans aucune signification, de l'espace et du temps : voudrait-on, du reste, avec nos propres forces, reconstituer cette conjonction, nous serions bien embarrassés !
En fait, le hasard nous dit souvent une chose à laquelle nous ne prêtons pas attention, ou que nous ne savons pas déchiffrer, ou bien encore que nous déchiffrons trop tardivement, car le temps a son importance, dans cette histoire ! Les Romains disaient : « il faut saisir l'occasion aux cheveux », car le hasard traverse l'instant comme une comète traverse le ciel. Il ne se convoque pas : silencieux ou en grande pompe, il vient à son heure ! C'est peut-être, surtout, en fin de compte, à notre inconscient que le hasard essaie de transmettre un message.
Bien que nous ne le sachions pas, le hasard imperceptible est souvent plus fort que nos intentions conscientes, évidentes, délibérées. Contrairement à ce que l'on nous enseigne, quand on apprend aux futurs adultes comment agir sur le monde, notre volonté, souvent, n'a pas toutes les clefs de l'univers. Au fond, le hasard est la seule chose qui mérite d'être interrogée. Lorsque nos volontés deviennent de vaines désespérances, c'est à l'aide du hasard, du hasard seul , que l'on traverse le miroir. Nos stratagèmes sont minuscules devant ceux que tisse le hasard. Même s'il semble avoir l'évanescence d'un phénomène capricieux et léger, le hasard peut avoir la force d'une injonction.
Revoyez le cours de votre vie, interrogez le hasard, sa main ferme et imperceptible : la rencontre de vos parents, votre naissance, les études que vous avez suivies, les métiers que vous avez exercés, les maladies dont vous avez souffert. Combien de personnes, qui ne se sont croisées qu'une seconde, dans la rue, dans les transports ne commun, cherchent, en vain, le plus souvent, à se revoir ? Le hasard, sans en avoir l'air, a la force invisible de ce qui meut les astres.
Paradoxalement, et contre toute attente, le hasard se mérite : il faut savoir lui laisser place. Nous avons tous à apprendre à lire, interpréter, à accueillir, sans délai, l'imprévisible, – et, au besoin, à grimper sur ce fil tendu entre deux rives de notre vie, pour, coûte que coûte, redécouvrir notre destin.
11/1/17