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(Note de lecture), "Fils", de Chantal Maillard, par Yves Boudier


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Posté 31 janvier 2017 - 10:41

 

6a00d8345238fe69e201b7c8d05a49970b-200wiLorsque Pierre-Yves Soucy, traducteur et préfacier de ce recueil composé dâune trentaine de poèmes, écrit dâemblée quâil y a « des textes poétiques dont la parole ne cède sur rien », il ne se trompe pas. Certes, ce nâest quâau terme (le mot est bien mal choisi) de la lecture de cette suite de poèmes que lâon comprend le sens fort de cette affirmation liminaire, à laquelle on appose, comme un sentiment frère, la « ressaisie » par le poème et sa radicalité dâune expérience « au plus près des sens ». Que lâon ressent, plus encore quâon ne le comprend, lâacquiescement lucide et douloureux du poème, donc du sujet, à ce qui advient dans lâaffrontement en proximité quotidienne entre soi et le monde, entre lâautre en soi dont le silence comble paradoxalement lâattente dâun comment vivre.

Cette renverse au cÅur de lâêtre, comme celle propre aux mouvements de la marée, marque le passage, voire le ravage du temps auquel la seule parole poétique offre dâinterroger le constant soupçon que la langue des jours et des nuits enchainés ne puisse y ouvrir une brèche dâavenir, dans la conscience des limites de toute vie. Dans celles aussi de la relation du mot et de sa référence, dâautant plus forte quâelle engage ici le réel de la vie et la perte dâun être. La polysémie du mot Fils se perçoit en effet dans un mouvement interprétatif inachevé, on ne peut choisir « le » sens propre à chacune de ses occurrences car lâabsence signe la présence et réciproquement, comme implacablement.
Cette indécision atavique propre à tout système langagier humain sâorigine dans ces pages, en particulier dans un dépassement de par la forme même sous laquelle apparaît ici le poème, dâune volonté affichée dâêtre

réfractaires aux
mots faciles
à la prose intuitive (je ne sais ce quâelle révèle), aux
figures rhétoriques
mettant lâemphase sur ce qui devrait
se montrer dans sa propre lumière  
sous une forme plus légère, plus simple.
 (p.107).

Ce refus de lâanalogie, de la métaphore qui se dissout dans son « délire » ou sa « grandiloquence », renforce hors de toute vanité ou affirmation dâune quelconque vérité de lâécriture, la possibilité de donner (la) parole à un je, mendié comme support au travail des images qui nous hantent, ce

je qui nâest rien /
sans une histoire qui le raconte.-

Et plus encore, pour étayer ce mouvement intérieur du poème dans sa mise en vie (plus quâen scène) dâun rapport à la vie soucieux de dépasser les limites qui bordent les sujets dans leur quête, non pas de leur seul monde mais du monde lui-même dans une adhérence-adhésion consentie, la forme est intimement questionnée dans sa dialectique vers et/ou prose.
Chantal Maillard en effet, travaille à lâinverse de lâépoque et câest là une forte originalité, que lâon sait dépouillée de toute volonté explicative. Câest un fait chez elle, dans lâécriture en particulier des pages nommées Partir (p.81-82), que le choix du mètre ou du cursif renverse la doxa dâune prose coupée prétendant au poème. Nous avons sur la page un poème fait de vers jointés qui donnent présence à un texte apparemment de prose si lâon ne prend garde au rôle décisif (décisionnel) de lâusage de la ponctuation, celle précisément du point qui accomplit la double fonction de séparation et de coalescence, cette dernière lâemportant et créant une liaison nouvelle entre les paragraphes.

Lâensemble final du recueil porte comme titre « Quel ». Câest cette fois la grammaire et ses catégories qui se trouve questionnée. Ni morphème interrogatif, exclamatif ou indéfini pas plus quâattribut, Quel devient sujet, un sujet au statut singulier, qui incarne dans son ambiguïté heureuse les possibles présences dâun pronom, celui dâun disparu aussi fortement que celui en miroir dâun lecteur interpellé par lâattraction intime du poème, par le goût partagé de la « quiétude de lâombre », donné déjà au cÅur du livre comme lâirrépressible désir de se situer au plus près de soi, sensible et attentif au travail du temps sur le corps, aux gestes dâune main qui repousse toute culpabilité.
Ainsi, tel le chat et son savoir immobile, échapper à lâasphyxie, être à lâécoute sans illusion de soi

À plat ventre. À sa hauteur.
Sâamenuiser. 


Et avec le traducteur la volonté dâajouter : « Il sâagit alors de vivre avec ce qui est survenu, dâinterroger ce qui advient [â¦] au plus proche de/dans la vie ». « Dans la matière du silence », pour reprendre les mots du titre de sa pertinente préface.

Yves Boudier


Chantal Maillard, Fils, traduction de lâespagnol de Pierre-Yves Soucy, Éditions Le Cormier, 2016.

Lire ces extraits du livre choisis par Antoine Emaz pour Poezibao.

 

 

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