Aller au contenu

Photo

(Note de lecture), Krzysztof Siwczyk, "Ailleurs est maintenant", par Mazrim Ohrti


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 01 février 2017 - 09:53

 

6a00d8345238fe69e201b8d25b09a0970c-200wiRecueil de poèmes en prose dâun poète polonais de quarante ans qui a publié plusieurs fois dans son pays dâorigine. Le titre est clair : le lieu imprime le mouvement hors de toute linéarité temporelle. Le topos innommé se détermine à lâinstant T (kairos). Au poète de porter le poème (à la fois lieu et instrument de rhétorique) à son acmé. « La poésie de Siwczyk nâest pas séduisante », rappelle Isabelle Macor, sa traductrice, en postface. Sa mise en garde comme une valeur inhérente à cette écriture, à lâopposé dâune poésie dâornement, a de quoi justement séduire. Siwczyk constate, estime la situation de lâindividu (donc la propre sienne) à travers ses actes, sa pensée et son expérience, autrement dit sa culture et sa condition en regard du monde en sa fabrique, par « surcroît de vision ». Les affects du poète sont latents (ou émoussés) pour quây prenne pied une impulsion lyrique malgré un ton mélancolique ici ou là. Certains effets, même, ne sont pas sans rappeler la tradition objectiviste (littéraire) au sens de lâeffacement du poète derrière le réel concret : « Parfois il nây a rien à habiller ni laver. / On est dans la course. » Et encore : « Il a fermé / la porte, a sorti la poubelle et lâa raccompagnée au train. » La poésie de Siwczyk, décomplexée à la façon dâune certaine poésie américaine, convoque tous les niveaux de sa conscience par lâintermédiaire dâun langage qui puise aussi bien à la logique philosophique (« Le phénomène devance lâinstant dâhésitation ») quâau discours oral terre-à-terre (« le réel sur garantie / foire un peu⦠») sans que cela soit contradictoire mais pour ajuster sa quête dâune proximité avec le lecteur. Description, narration et réflexion se recoupent parfois derrière une voix dâéthologue presque froide (« Mus par manques de motifs, / lui et elle, éléments se mouvant / dâavant en arrière et de côté. »). Et ce, même si le sujet parlant (en éveil permanent) se réfère au tout auquel il appartient, dans un jeu de glissement implication / abstraction : « La vue de lâair dans lequel rien ne manque plus, / voilà ce que jâai trouvé au tournant de mon propre acte dâétat civil (â¦) ». Lâamor fati empêche tout penchant au pessimisme et à la révolte déçue : « Lâessor et le déclin ont caractérisé tous les processus que jâai vus. Je nâai rien / dâautre ici à dire ». Lâanecdote relatée, faussement naïve, substrat ou illustration du poème, contribue à cette poétique, comme construite en métaphore du monde connu tout compte fait, paradigmatique en sa cruauté, ses paradoxes et son aliénation, passés, présents et futurs, quâannoncent déjà les travers de notre époque, pour éclairer la nature dystopique, au bout du compte, de celui-ci. « Les observations que tu fais ont une chance de composer / un modèle mythique. Un jour tout deviendra légalement monstrueux et ce sera / le commencement dâune comédie totalement autre. » Cet exemple précis dâune vision post-apocalyptique du monde suscitant des sentiments qui sâaffrontent chez lâauteur, sâinscrit globalement dans une analyse anthropologique permanente au fil du recueil. Des textes très courts sâétayent mutuellement avec dâautres plutôt longs incarnant une réflexion circonstanciée. Câest comme ça que résonne une sonate par essence progressive, agogique. Quâil faille un mythe (fondateur) pour répondre aux doutes et questionnements de Siwczyk dont la poésie est prétexte, le poème en fait figure, fragile, en mouvement perpétuel sur la scène du monde, cherchant déjà sa constitution dans un ailleurs possible perpétuellement présent, un espace tutélaire pour faire de la langue, envers et contre tout, son ultime bastion.

Souffle court et grommellement. Pour soi-même.
Tu arrives à un stade où tu dors debout et regardes
avec une avidité rare, comme si
dans un instant la représentation
allait prendre fin et que le décor soit sur le point
dâêtre démonté comme notre langue.

Mazrim Ohrti

Krzysztof Siwczyk, Ailleurs est maintenant, traduit du polonais par Isabelle Macor
108 p., 12,00 â¬, Grèges, 2015.

 

 

PGzKwql_AEU

Voir l'article complet