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(Note de lecture) Tristan Félix, "Observatoire des extrémités du vivant", par Murielle Compère-Demarcy


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Posté 10 février 2017 - 10:21

 

 

6a00d8345238fe69e201b8d25ea194970c-200wiVoici en vrac et d'emblée, mais non par hasard, ce qui nous traverse l'esprit en découvrant le dernier titre de Tristan Felix qui paraîtra le 25 février 2017 aux audacieuses et jeunes éditions Tinbad, Observatoire des extrémités du vivant :

⦠d'abord un petit vélo (dans la tête), certainement, tant l'écriture fantaisiste de l'artiste-poète Tristan Felix décline d'univers parfois foutraques à l'aune fantasque de nos meilleures humeurs, passagères, persistantes, quelquefois détraquées. Mais toujours de haute volée, avec la fantaisie débridée de l'artiste en self-control, le goût savoureux de l'esthète servie au lecteur/spectateur (Tristan Felix anime aussi "Le Théâtre des pendus") sur un plateau éclectique, gourmand et gourmet, improvisé. Poète-à-deux-têtes jouant la lyre du cÅur et des nerfs sur la corde sensible de l'intelligence créative, donnant parfois en free jazz le concerto d'un Imaginaire Permanent sans cesse redémarré.
⦠des images et des pensées fulgurantes, en s'attendant à des dits et des représentations de l'extrême, mais lesquels ? â Suspens, métamorphoses, Création !

Tristan Felix, poète polyphrène et polymorphe, en Belle-Fée-Gore a l'art de nous inviter dans un théâtre où le vivant n'est pas ordinaire. D'autant plus dans cet Observatoire du livre que publient les éditions Tinbad en cet hiver 2017, où l'ordinaire se révèle cruellement, férocement, peu commun.

L'Observatoire des extrémités du vivant relèverait-il du voyeurisme, que ce serait de pur mauvais goût. Précision qu'apporta d'ailleurs Tristan Felix lors de sa lecture d'un extrait de ce livre au 26e Salon de la Revue d'octobre 2016, à la Halle d'animation des Blancs-Manteaux à Paris (4e), le 15 octobre 2016, alors qu'elle figurait parmi les auteurs présentant le n°2 des Cahiers de Tinbad.¹ Tout au contraire, ici ce qui emprunte à la farce, au grotesque, aux bêtes de foire (jadis exposés et racontés par un autre poète polymorphe pour ne pas nommer le grand Hugo) flirte sur le fil acrobate (parce que courant le risque âž de voir l'équilibre à tout instant se briser) et sans filet pour exprimer ce commun des mortels raté de peu, nous saisissant de pleine face dans l'accouchement de sa gestation laideuse (fÅtus abimé, nouveaux-nés atrophiés, difformes), rattrapé par une monstruosité qui le défigure à vie.

Dans ce triptyque ouvert par l'Observatoire des extrémités du vivant (Fétus, Livrée des morts, Félidées noires), la transgression se fait création. Chaque face de l'Observatoire montre, dès que le lecteur l'approche, l'objet de ses « extrémités du vivant ». Fétus, dédié à Tod Browning, Tadeusz Kantor, Pipo del Bono, Goya, -« pour qui l'identité est pure perte de soi »- rassemble des images recueillies en 2005 au musée de l'École Nationale Vétérinaire de Maisons-Alfort et au musée d'anatomie pathologique Dupuytren à Paris. Les monstres ici présentés (monstrés), mi-humains mi-animaux, semblant et nous laissant au bord du cri animal et/ou du verbe humain dès l'entrée de cette galerie, nous interrogent et questionnent notre identité d'être humain :

« (...) ces corps pourraient bien être les repentirs utérins de nos peintures vivantes, ou peut-être est-ce le contraire »,

écrit Tristan Felix en préambule,

puis :

« Il a toujours été temps de contempler ce que nous avons failli être et aujourd'hui je méditerai sur notre mutation qui va bien au-delà du monstre, puisqu'elle devient la norme d'une possible exctinction à nous-mêmes. »

Ces êtres difformes ne sont-ils pas la grimace de notre propre destin, si mal tenu dans son évolution qu'il devient le résidu larvaire, avorté, d'une métamorphose incomplète, larvée ? Ne sont-ils pas le Rire comme un qui fendrait notre face, qui reflèterait les imagos interrompus de nos acheminements sur des territoires de plus en plus troubles, indéterminés, par nous-mêmes perdus ?
Et le transhumanisme vers lequel la science (et notre conscience ?) semble nous acheminer nous condamnera-il à n'être plus que des spectres de nous-mêmes ?

Les mots de la poète photographe se posent au passage sur le récif d'une réflexion qui nous arrête et nous trottera dans la tête :

« Nos miroirs
ne déforment pas
ils épousent
ta vie extrême 
»

Car nous sommes, là, dans le registre de l'extrême, de l'anatomique pathologique, transfiguré révélé par la Poésie quand la poésie est ouverte aux sens, à la chair, à l'hypothétique du vivant toujours au bord de l'abime et de l'ascendant ; quand la poésie est ouverte à la vie comme en vingt-quatre tenues dans la Livrée des morts.  « Parce que la vie grouille de mort qui grouille de vie, le monstre est la condition même de la vie, son hasard et sa nécessité. »
Nous sommes, ici, dans le registre de l'extrême et le Langage n'a de cesse de nous faire couvrir et courir le risque des extrêmes (de la vie, de l'Écrit ; du poïéthique).

Le troisième volet du triptyque, quant à lui, nous laisse au sein de la Ténèbre, avec les erres ou les mânes félines entre les griffes, les vibrisses de l'espace, elles-mêmes sur la trace de bas de jambes aperçus dans « un miroir maculé depuis des lustres ». Baudelaire, cité en exergue, le rappelle, « L'Erèbe » eut pris les chats pour « ses coursiers funèbres ». Mais, ici, au sortir de l'Observatoire, c'est « une chatte, joueuse de corde » qui va « en quarante-trois tarots » (à savoir les quarante-trois figures exécutées par la chatte) embarquer et déjouer le décor. Après avoir aperçu les bas de jambes dans le miroir sali, l'animal

« n'eut dès lors de cesse de multiplier ses chiffres secrets et farcesques à la surface du tain. Les jambes bientôt disparurent du reflet moucheté, mais leurs yeux invisibles ne manquèrent pas de saisir les quarante-trois figures que la chatte exécuta bravement, tant et si bien que la conjuration féline provoqua sa propre animation sous de singulières espèces : un ours, un joueur de luth, une lune, un doute, un baiser connurent le jour... »

Est retrouvée, ici et là, la mancie -le charme ou le poème- de la Fée d'oniriques quarts de lune & de soleils des pleins sortilèges Felix, face clown Tristan-jamais-triste, pile Gove de Crustace, « poète-clown brut de trash »*

« Un bail à perpétuité / une éternité de curiosité » que la poète Tristan Felix nous offre le philtre d'Ailleurs et de cas de folie circulaire entre Sorts et rêves en théâtre de marionnettes et de Voyage en Glossolalie², où la vie remue, où la nuit tombe les toits des « six faces débraillées » jetés comme dés de sortilèges « du haut qui penche »³.

Lointain proche intérieur d'un monde imaginaire, au Pays de la Fantasmagorie.
â Suspens, métamorphoses, Création !
   

© Murielle Compère-Demarcy


1-Les Cahiers de Tinbad
2- Glossolalie, langue inventée avec, des bouts de sens arrachés pour germiner ailleurs.
3- Tristan Felix,  Sorts, éd. Henry

voir Murielle Compère Demarcy ici

Tristan Félix, Observatoire des extrémités du vivant (triptyque), éditions Tinbad-Poésie, préface de Hubert Haddad, 166 p., 20 â¬.

 

 

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