Poésie light, poésie éclair
Que se passe-t-il quand un prosateur, connu comme romancier ou essayiste, passe à la poésie ?
Il coupe ses phrases.
La mise en page raccourcie ne suffit cependant pas à faire poème. Le ton poétique nécessite une focalisation différente de la phrase. Il faut sâaffranchir du déroulé narratif pour adopter le plan rapproché du poème, où chaque mot compte.
Lectrice de poésie, mon attention nâest pas la même lorsque je lis un roman. Je suis pourtant la même personne. Thomas Clerc se soucie peu de quitter la généralité (du roman, récit), pour explorer lâessence (du poème). Il ne ressent pas le besoin de compter les strophes, le nombre de pieds, la longueur de ses paragraphes. Câest ce qui fait de ce livre un objet au charme indicible et addictif : tous les sujets peuvent y être traités, dans une forme qui ne sâembarrasse pas de contraintes autres que celle de la brièveté.
Jâai pensé que la ⦠poésie
Pourrait sâatteindre
Par une certaine ⦠précision
Non certes ça ne⦠suffit pas
Mais du coup me contraindre
A la plus constante⦠inattention.
Câest en effet lâinattention, la désinvolture, le non vouloir saisir quâévoquait Barthes dans Fragments dâun discours amoureux, qui ponctuent ce recueil. Lâauteur y assume une subjectivité sincère, à une époque où lâego est travesti par les multiples like du virtuel. Thomas Clerc expérimente le selfie en poésie sans la superficialité du procédé. Sâil se souvient avec émotion de la personne aimée, il en rend compte de cette façon :
Je te parlai au téléphone
Dehors, et je serrais dans le même temps
Ton petit cardigan noir
Quâil pense à de chers disparus (Claire Guezengar, Edouard levé), il leur rend hommage ainsi :
⦠lâamitié non plus nâest pas
un thème. Plus.
Tu avais un geste de cigarette
Très particulier, très fin, et pourquoi
Nây a-t-il pas plus de dandysme au féminin
As-tu lancéâ¦.
Je pense à la poésie de Richard Brautigan et parfois à
Stéphane Bouquet : la même délicatesse sentimentale, une manière de tenir le lyrisme à distance.
Thomas Clerc dresse également le portrait dâune génération, celle des années Mitterrand au tournant des années 80 :
La new wave naquit à la toute fin des années 70 et succéda
au punk, dont elle améliora la forme. Elle donna
Un sens plus léger au chaos.
Une jeunesse qui espérait.
Je peux aussi par conséquent lire ce livre comme la chronique dâune époque révolue, tandis que nous sommes aujourdâhui au seuil dâun moment trouble, incertain, anxiogène.
Il nây a plus nous dit-on
dâ « être-là-des-choses »
mais juste des images
Où nous baignons comme des noyés
dans lâeau dâécrans plate â¦
Véronique Pittolo
Thomas Clerc, Poeasy, éd lâArbalète, Gallimard, 2017
On peut lire un extrait de ce livre ici.
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