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Ecriture et alchimie


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#1 michelconrad

michelconrad

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Posté 20 mars 2017 - 08:01

Dans Alcools, (1913), Apollinaire écrit :

 

« Et tu bois cet alcool brûlant comme ta vie
Ta vie que tu bois comme une eau-de-vie ».

 

A ces vers font écho, dans Calligrammes (1918), ces mots :

 

« L'air est plein d'un terrible alcool
Filtré des étoiles mi-closes »

 

Il me semble, après avoir lu, pour la première fois, ces textes, il y un demi-siècle, que l'alcool est une métaphore de l'écriture. Ce n'est pas un hasard si Apollinaire lui adjoint l'adjectif « brûlant », qui nous renvoie à un principe igné , qui renvoie à la métamorphose de toute chose par le feu, ce que les alchimistes pratiquaient, avec, selon les degrés d'incandescence et la nature des éléments transformés, ces différentes étapes, qu'ils nommaient, selon une progression, leurs « œuvres » : « œuvre au noir », « œuvre au blanc » « œuvre au jaune », « œuvre au rouge » ...Car l'écriture, elle aussi, est issue d'une chimie de la pensée, qui se fait volatile, une alchimie de l'âme.

 

« brûlant comme ta vie »  : il s'agit d'absorber la vie et ses plaisirs, tel un alcool, c'est à dire un corps instable, susceptible lui-même de quitter l'état liquide pour se transformer en état gazeux , en vapeur : cette vapeur que l'on retrouve, dans le deuxième extrait, dans l'air , et qui est filtrée des « étoiles mi-closes ».

 

Cette recherche de la pierre philosophale, de la transmutation de la matière, est, aussi, à la racine de l'écriture . Baudelaire écrit :

 

« tu m'as donné ta boue et j'en ai fait de l'or » :

 

nous cherchons tous cela, le point ultime, où l'émotion se transcende, où les mots d'amour vont enfin pouvoir atteindre le coeur de tous, pour passer « de l'horizon d'un homme à l'horizon de tous » (Eluard).

 

Pour que le texte atteigne un haut « degré » de poésie, l'assemblage des mots, dans le creuset d'écrire, doit, sans doute, être rendu subtil, volatil, sous la force du sentiment, de l'émotion, comme la vapeur d'alcool qui, sous l'effet de la chaleur, s'envole dans les tuyaux de l'alambic et qui se condense, ensuite, sous l'effet du refroidissement, pour redevenir de l'alcool sous forme liquide. L'alcool se veut, lui, « brûlant », au centre d'une combustion qui ne s'achève pas, qui a gardé la mémoire du feu, d'où il est né, comme le cœur de l'homme garde la mémoire indestructible du feu de ses passions.

 

 

20/3/17

 

 

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