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(Note de lecture) Pascal Commère, "Aumailles", par Gérard Cartier


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Posté 22 mars 2017 - 11:13

 

6a00d8345238fe69e201b7c8e30659970b-200wiDâherbe et de cornes

Après celle consacrée à Ariane Dreyfus, Les Découvreurs publient une anthologie de poèmes de Pascal Commère qui donne à ceux qui ne le connaîtraient pas lâoccasion de découvrir lâunivers et lâécriture dâun des poètes les plus originaux dâaujourdâhui. Bien que cette collection ait une visée pédagogique (consacrée aux lauréats du prix des Découvreurs, décerné par des lycéens et des collégiens, elle se veut un outil pour introduire la poésie dans les classes), Pascal Commère nâen rabat aucunement, dans le choix de ses textes, sur son exigence habituelle.

Lâexergue est empruntée à Philippe Jaccottet, quâon ne sâattendait pas à voir présider à cet ensemble (« La difficulté nâest pas dâécrire, mais de vivre de telle manière que lâécrit naisse naturellement »), non plus quâà lire dans la préface le nom dâYves Bonnefoy. Mais, pour Pascal Commère comme pour eux, prime la présence au monde : « le poème naît au contact de la chose elle-même », du regard posé sur celle-ci. Ses poèmes témoignent donc toujours des circonstances de leur naissance, le plus souvent une déambulation dans un paysage de campagne ou de nature.

À suivre ce parcours (à peu près) chronologique, on est frappé par sa remarquable unité thématique. Si Pascal Commère a débuté par de petites proses tirant vers le fantastique ou manifestant lâétrangeté du quotidien (Les commis, Folle Avoine, 1982 ; Le temps quâil fait, 2007), avant de trouver sa forme de prédilection â le poème en vers fortement articulé â, le monde rural est là dès lâorigine. Sa poésie est dâabord une opération du regard, mais aucun des sens nâest oublié, tout y concourt, formes et couleurs, bruits, odeurs, toucher â ce geste qui lui est familier : agripper les graminées du bord du chemin, en faire monter les graines entre les doigts, belle métaphore du geste de lâécriture : les mots sont mal séparés des choses quâils désignent, elles les portent comme lâherbe le toupet des graines à son sommet. Un univers dâune grande présence, donc, concret, incarné, qui loin de faire retour à la poésie pastorale, ou même aux Géorgiques, est de notre siècle (les signes du présent abondent) et qui renouvelle notre perception de la campagne.

Dans sa préface, décrivant le mécanisme de lâécriture à lâÅuvre chez lui, Pascal Commère souligne que lâorigine du poème reste mystérieuse, quâil nâest dâabord quâ« un magma de mots jetés sur le papier » et que la recherche de sens « ne vient que concomitamment, et jamais de façon préalable et délibérée ». Lâun des aspects marquants de ses poèmes est le fait quâils progressent par juxtaposition de courtes notations. Au cours erratique de la promenade répond lâerrance de la pensée au sein même du poème : celui-ci nâest pas entièrement dicté par le motif, il sâinvente aussi dans le mouvement de lâécriture, dans une dialectique constante entre les mots (leur sens, leur matérialité) et la « petite musique » que leur enchaînement fait entendre.

Cette écriture, humble par le monde quâelle embrasse, sans ostentation (« Je voudrais être (â¦) celui, avec des mots très petits, qui consigne / le monde, ses travaux⦠»), est pourtant extrêmement exigeante et très inventive, dans ses images (« lâinitiale piquante des vipères »), dans son vocabulaire, qui va du familier au recherché (à commencer par le titre, aumailles, autant dire bêtes à cornes), et surtout dans sa construction. Elle est un peu, à la poésie de la nature, ce que le cubisme est à la figuration : une écriture de la rupture dans la continuité, obtenue par une ponctuation assez insistante (virgules, parenthèses, etc..), ainsi que par un système dâincises et dâinversions. Ce sont des poèmes quâil faut lire sans se presser, au pas de la promenade, comme ils ont été écrits, en suivant les méandres de la pensée, agrippant les détails au passage et retrouvant ici et là le mètre paisible de lâalexandrin, si bien accordé au rythme naturel des bêtes aumailles : « ainsi vont lentement (écriture du soir) / les bêtes dont les yeux sont de la craie mouillée ». Un exemple, tiré dâune belle suite prélevée dans le recueil De lâhumilité du monde chez les bousiers (Obsidiane, 1996, prix des Découvreurs) :
 
Ou ruisseaux comme vous, aller pas droit je pense,
parfois, ce serait bien dans la menthe en faisant semblant
de dormir pour mieux voir le rose dâune bête,
son nez sur lâeau qui boit, et les trous noirs
tremblant parce quâune libellule ou un oiseau
sur une herbe se pose, ou, tout près, un remous
quelque chose qui bouge et, comme près dâici,
habite le courant quand il fait chaud,
ou peut-être si la pluie, les mouches sur les bouses
près du taureau épais et ses bourses qui croulent
quand ses yeux baissent, et le soir,
avec les ombres lâherbe qui sent lâodeur
pas tout à fait des bêtes, et le blanc sale
des ombelles ouvertes ou pas complètement
â quand on tape dedans les graines, très vite,
font comme une fumée ou le vent, câest pareil.
Ce serait bien, toujours, mais parfois une bête
pose sur lâeau son mufle â et câest presque fini.

Il sâagit certes dâun parcours express dans lâÅuvre de Pascal Commère ; on pourra regretter certaines absences (Sales mouches !, Atelier Rougier V., 1994) ; on aurait aimé un choix plus vaste ; mais la vertu de ces florilèges est de proposer, à peu de frais, le meilleur dâauteurs quâon connaît mal et de donner lâenvie dâen lire plus. Ce quâon fera avec profit avec la grosse anthologie Des laines qui éclairent (Obsidiane / Le temps quâil fait, 2012). Lâinitiative des Découvreurs est donc à saluer â et pas seulement dans les classes.

Gérard Cartier

Pascal Commère, Aumailles, Les Découvreurs, 2016. Lire ces extraits parus dans Poezibao.

 

 

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