Câest un montage en mosaïque que nous propose ce livre de et sur Henri Deluy, avec un long entretien mené par Julien Lefort-Favreau, une étude dâAnne-Renée Caillé, des réflexions sur la pratique de la traduction et enfin un choix de poèmes. Lâensemble, qui associe la fille du poète, Saskia Deluy et lâécrivain Liliane Giraudon, met brillamment en perspective une vie consacrée à lâamour de la poésie.
Je me souviens de mon étonnement et de mon accablement quand, au milieu des années 90, je me suis retrouvé devant toutes les archives dâHenri Deluy concernant la revue Action poétique. Je devais rédiger une longue préface à une anthologie* et sâil pouvait sembler paradoxal de présenter lâhistoire dâune revue qui nâavait pas encore dit son dernier mot, lâhéritage dâAction poétique (qui bouclera son numéro ultime en 2012) était déjà incontournable. Henri Deluy est de ces poètes qui ont tant donné à une revue, tant consacré de temps à la traduction et à la réflexion que leur travail de création court le risque dâêtre occulté. Mais quâon lise ses recueils et on sâapercevra quâil sâimpose comme lâun des poètes les plus importants de sa génération.
Dans lâentretien, Deluy souligne que les premiers numéros de la revue Action poétique sâinscrivaient dans la mémoire événementielle (la guerre dâAlgérie notamment). Ils étaient portés par un double mouvement, celui qui témoigne du déterminisme de lâhistoire â à travers lâengagement communiste â et celui qui relie â avec des accents surréalistes souvent â lâintime amoureux au poème. Le parcours de cette revue, par ses mutations, parfois brutales, et par ses résultats, ses redéfinitions permanentes vis-à-vis des divers autre pôles constitués (notamment le groupe Tel Quel, de Philippe Sollers et Marcelin Pleynet et aussi la revue Change avec Jean-Pierre Faye et Jacques Roubaud ) a été emblématique de tout ce qui sâest produit dans le champ poétique, de 1945 à 2012. Deluy rappelle que ce sont Jean Malrieu et Gérald Neveu qui ont fondé Action poétique.
Gérald Neveu est la figure qui marque toute lâhistoire de la revue, bien quâil se suicide à Paris à 39 ans (â¦) Il avait une dizaine dâannées de plus que moi, comme Malrieu, et il avait vécu dans le climat de ce quâon a appelé le surréalisme révolutionnaire.
Quelques autres spécificités ont caractérisé Action poétique : une large ouverture sur la poésie étrangère â aucune revue en France nâa autant publié de traductions â la place accordée aux femmes qui écrivent (Elisabeth Roudinesco, Liliane Giraudon, Martine Broda, Andrée Barretâ¦) et enfin la publication, dans chaque numéro, dâune recette de cuisine !
Sur lâÅuvre dâHenri Deluy, Anne-Renée Caillé remarque : Henri Deluy fait partie de ces poètes qui ne sont pas seuls, qui incorporent les paroles de lâautre, exposent leurs influences, leurs communautés, rendent hommage presque autant quâils se mettent au centre de leurs pages. Les poèmes de Deluy, qui sâest un jour définit comme un formaliste sentimental, sont ceux de lâacuité du regard. Le vers, chez lui, est souvent serré, ponctué, il commence toujours par une majuscule. La visée est objective mais elle ne sâoppose pas au chant, et singulièrement au chant amoureux. Elle donne dâemblée un plaisir de lecture, une sensation de durée, comme dans ce quatrain de toute beauté, extrait dâun recueil ancien : Le Temps longtemps (Messidor, 1990) :
Lâamour charnel vivait entouré
Du ciel pur. Lâemplacement
Du cÅur était un bruit
Dans le bruit de la mer.
Pascal Boulanger
Henri Deluy, Ici et ailleurs : une traversée dâAction poétique, sous la direction de Julien Lefort-Favreau et Saskia Deluy, Le Temps des Cerises, coll. Action poétique, 2017. 232 p. 13 euros.
*Pascal Boulanger : Une action poétique de 1950 à aujourdâhui, Flammarion, 1998.
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