À tous les robineux
C'est un vieux soldat
Vaincu
En déroute
Le cœur fusillé
La raison mutilée
Impatient du nihilisme
Pervers de l’orthographe
Dyslexique du savoir vivre
Ses anaphores rhétoriques
Sont ses bégaiements
Il traîne-misère
Et il va-nus-pieds
Dans les rues de la ville
La carcasse diaphane
Aux yeux du profane
Il mendie l'éloquence
Les belles lettres
Sont son chaos indéchiffrable
Un jour, peut-être hier
On retrouvera son cadavre exquis
Intoxiqué du mal de vivre
De robine et de syntaxe
Nuit après nuit
Côte à côte avec la folie
Il écoute le chant des sirènes
Au fond de sa bouteille
D'un illisible graffiti sur un mur d'ADN
Il est l'errance littéraire
Dans la déconstruction du discours
Un fantôme puant le lapsus
Zigzaguant dans un monde linéaire
Il éthyle une salive dégoulinante
Dans l'ordre moral des choses
Au thuriféraire de la rime
Il bave des vers libres
À torcher l'arrière train d'un alexandrin
Et les pharisiens de la versification
Il rote ses invectives de cancres
Aux académistes, ces zouaves de la rhétorique
Il empoisonne leurs hémistiches et leurs subjonctifs
En vérité, en vérité
Il vous maudit tous
Financeurs de l'ABC
Mécènes de la courtoisie
Despotes alphabêtisant
Vos lettres, il les a dans le cul
Il est l'ANALphabête déviationniste
Il vous les crie
Ses épiphonèmes
Et vos catachrèses
Sont ses stigmates
Nuit après nuit
Côte à côte avec la folie
On épelle son nom
Au fond des bouteilles
Quelqu'un, quelque chose
L'appelle ailleurs
Dans la foule cool
Il cherche sa boule
Marchant dans la chair des apparences
Il est le charognard sans bienséances
Mais le vieux soldat est fatigué
La belle littérature lui a arraché son foie
Il arrête un passant
Pour lui demander l'heure
On lui répond:
''IL EST L'HEURE''
''IL EST INTERDIT DE PASSER''
''MARCHE AU PAS''
''RENTRE DANS LE RANG''
''IL EST L'HEURE''
DÉFENSE D'AFFICHER
(à l'aube de sa vie, il labourait les lumières)
DÉFENSE DE TOUCHER
(il riait et voulait saisir la poussière)
INTERDIT DE RÊVER
(une étoile sur son front )
On lui a fait avaler AD NAUSEAM
Le code civil des philistins
La soumission sexuelle des béotiens
Et l'abcédaire de l'aliénation sentimentale
À lui faire vomir des voies lactées
D'amour et de tendresse
Pour oublier l'incomplétude de la Vie
Nuit après nuit
Dans le frimas de la folie
Il écoute la mort
Au fond de sa bouteille
Dans sa ruelle céleste
Sa soif d'amour enfin étanchée
Aux lèvres affectueuses
Des poubelles
Il écoute un chant lancinant
Au fond de sa vie
C'est un ange lui caressant le front
''Les renards ont leur terrier
Les oiseaux ont leur nid... ''
Mais le fils illettré du bum
N'a que l'ivresse
Pour reposer sa tête
Sa pauvre tête...
SALUT!