« Combien de printemps me reste-t-il à traverser ? » , disait mon père, tandis qu’enfant je l’accompagnais, dans un printemps tout identique à celui d’aujourd’hui. Il disait aussi, en regardant le cèdre bleu qu’il avait planté de ses mains et qui était devenu immense : « dire qu’il va falloir quitter tout ça ».
Il savait mesurer la beauté du monde, donner quelques tomates fraîches de son jardin, à la pause de midi, aux ouvriers qui avaient goudronné la route sous un soleil brûlant et qui se demandaient pourquoi cet homme aux cheveux blancs s’approchait d’eux, les bras chargés des tomates tièdes qu’il venait de cueillir.
Après sa mort, un soir de tempête, le cèdre bleu s’est effondré sur la maison, où ma mère se trouvait seule, endommageant le toit : « sic transit gloria mundi ». Aujourd’hui, c’est moi qui me demande combien de saisons, combien de fois il me reste admirer les cerisiers en fleurs et les mirabelliers…
Il ne peut pas ne pas y avoir quelque part, un « grand horloger », qui tient le décompte du temps qui reste, celui des aubes victorieuses de la nuit : quelque part, résonnera , un soir, un matin, pour chacun, un inéluctable « Mané , Thécel, Pharès ».
19/4/17