C’est à Marseille. En 1960. J’ai douze ans. Je marche dans les rues, au milieu de la nuit, sous une pluie battante. Je tiens à la main une lourde valise de carton, comme on n’en fabrique plus aujourd’hui. Dans cette déambulation nocturne, il m’arrive de poser ma valise, de temps à autre, sur le trottoir ruisselant, et je vois venir avec angoisse le moment où le fond de la valise va céder, et où tout ce qu’elle contient se répandra sur le trottoir.
J’ai quitté, la nuit précédente, le domicile de mes parents, à leur insu. A présent, je n’ai pas d’autre objectif que d’attendre la venue de l’aube, pour partir à la recherche du vieux port, pour me faire enrôler, comme mousse, à bord d’un navire, pour, à bord de ce navire, partir pour un tour du monde.
Une traction avant noire s’arrête à ma hauteur. C’est la police. Des hommes en descendent, me demandent mes papiers, qui leur confirment que je suis bien l’adolescent en fugue qu’ils recherchent. On me mène au commissariat. Ma valise de carton trempé est minutieusement fouillée : les policiers y découvrent, avec étonnamment, des manuels scolaires d’histoire, de géographie, sciences naturelles, mais ils n’y trouvent pas le seul livre qui m’avait conduit jusque là : « L’île au trésor », de Stevenson.
25/4/17
