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(Note de lecture) Mathieu Nuss, "Arrosé l'arroseur", par Bruno Fern


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Posté 26 avril 2017 - 09:35

 

6a00d8345238fe69e201b7c8f1a75c970b-75wiCâest sous le titre inversé du fameux film des frères Lumière que Mathieu Nuss a placé son cinquième livre, peut-être pour insister sur le fait que tel est (forcément) pris qui croyait prendre le dit monde par son écriture. En effet, au-delà de la récurrence de la pluie (les premiers mots sont : « Il plut très fort⦠»), il sâagit bien dâune tentative pour capter ce qui finit toujours par couler plus quâentre les doigts : « Arroseur arrosé, le cerveau surfe comme il peut dans lâacidité et la mélasse, oubliant quelque chose quâil sait chaque fois quâil apprend quelque chose de neuf, se satisfaisant dâajouter en retranchant, de sorte que la nuit ne fasse plus ses nuits. »
Lâouvrage est composé de sept parties disposées quasi symétriquement autour de la centrale (âž) et constituées chacune dâune suite de petites proses parfois entrecoupées, dans les cinq premières, par ce qui apparaît comme les fragments dâun texte en italique, centré sur la page, et où il est essentiellement question de ce que pourrait être le poème. Dans la dernière partie, les différents paragraphes sont séparés par des parenthèses décalées dans le blanc, comme si on avançait vers une évaporation finale du sujet élocutoire, air connu.

Dâemblée, ces notes peuvent évoquer un journal intime qui ne serait pas daté mais où lâon distingue pourtant çà et là quelques repères temporels â ainsi, on passe de « début septembre » (p. 11), à « un 12 novembre » (p. 17) puis à « la neige » et au « train dâhiver » (p. 21). Dâailleurs, cette hypothèse de lecture est confirmée vers la fin du livre : « Lâhumeur contribue au contexte du poème du jour [â¦] » De plus, le pronom personnel je est celui qui désigne un observateur attentif à lui-même et à ce qui lâentoure : à la météo qualifiée de « mur porteur », aux animaux (avec une prédilection pour la présence souvent discrète des insectes), à son corps dont lâexistence est fréquemment rapprochée de celle du texte : « â¦le poème exploite les / 80 articulations de lâ/ organisme [â¦] » et, plus généralement, à tout ce qui forme la réalité diversement rugueuse : « Toujours une pilule (celle du réel ?) à bel et bien avaler dans lâécriture [â¦] ».
Dans ces annotations où sâentremêlent subtilement sensations et réflexions, des thématiques dominent. Parmi elles, celle du voyage dont les qualités sont exposées avec lucidité : « Voyager câest autoriser dâautres lumières à lâennui, suivre comme moucherons les orages. Câest aussi sâévertuer à faire du poème un produit anti-âge. » ; celle aussi de la musique, à travers lâinsertion de nombreux termes techniques (dont certains sont malicieusement détournés : « fiasco continuo »), lâévocation régulière dâinstruments (clarinette, flûte, violoncelle, piano) et de compositeurs (Schubert, Liszt) puisque « â¦le poème veut sâ / inspirer de toutes les indi- / cations de tempi déchif- / frables sur la partition / du sol, avant même lâallée / allée, désherbée⦠» ; par ailleurs, les références picturales ne manquent pas, en particulier tout ce qui touche aux couleurs â lâune des parties est intitulée PLATEAU â PEINTURE, deux portent le même titre, VERT BOUTEILLE, et une autre celui de MONOCHROME DU GRUTIER.
Au(x) passage(s), Mathieu Nuss précise ses choix dâécrivain, notamment en commentant la démarche quâil a adoptée ici : « Des influx plutôt que des lignes, planes ou courbes, ces fragments, entassés au petit bonheur, qui essaient tout autant de cacher, côte à côte, leur intime attache fusionnelle, que leur relation dominant-dominé, tantôt prédateur, tantôt proie étourdie, somnolente, puis avalée. » â extrait où il est évidemment fait écho au titre du livre. Enfin, il souligne lâimportance existentielle de lâécriture pour lui : « [â¦] tresser un cordage faussement résistant, car il sâagit de tresser quelque chose qui abrite plus sérieusement. » â  et qui soit donc à lire ad libitum.

Bruno Fern

Mathieu Nuss, Arrosé l'arroseur, éditions rehauts, avril 2017, 96 pages, 16 â¬.

 

 

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