Dans les années cinquante, lorsque j’étais enfant, il n’y avait pas pratiquement pas de journaux, pas de livres à la maison. C’est à l’école que je découvris l’usage des livres : est-ce pour cela que je tente d’en écrire ? Les nouvelles du monde nous parvenaient à travers la radio, où Geneviève Tabouis (1892-1985) tenait sa chronique des Dernières nouvelles de demain (1949-1967), qu'elle entamait invariablement, d’une voix rauque, par sa célèbre phrase fétiche « Attendez-vous à savoir… ». Très vite, en l’écoutant, au cours des repas du soir, en écoutant ces « dernières nouvelles de demain », mon père s’échauffait, frappait du poing sur la table, et nous faisait partager sa propre vision du monde.
Un jour, pourtant, je ne saurai plus dire à quel endroit de la maison, je fis une découverte surprenante, infiniment précieuse, comme on découvrirait, au cours de recherches archéologiques, une jarre remplie de pièces d’or : un livre minuscule, qui tenait presque entier dans la paume de la main, illustré d’aquarelles : « Les fêtes galantes », de Paul Verlaine. Je compris, alors, que mon père n’avait pas toujours été cet homme qui criait ses opinions politiques. Mais, surtout, les portes du jardin secret de la poésie s’ouvrirent devant moi, et ces mots retentirent :
« Votre âme est un paysage choisi
que vont charmant masques et bergamasques ».
Ma vie ne fut plus jamais comme avant.
25/5/17
