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(Note de lecture), Sandrine Cnudde, "Patience des fauves", par Jean-Pascal Dubost


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Posté 16 juin 2017 - 05:28

 

6a00d8345238fe69e201bb09a5db37970d-75wiUn sentier, câest une patience qui ne cicatrise pas :/la patience des fauves » : ce distique clôt lâouvrage, lui donne son titre, contient bien du mystère, ne conclut pas, au contraire. En effet, ce livre, qui est à lâorigine un texte de résidence à Marvejols, dans les Cévennes, au pays des loups, suit le fil des quatre saisons, au rythme des venues de la poète en les lieux. Il alterne journal de marches, poèmes, photographies, poèmes-cartographiques, dans lequel sont insérés des signets défilant les nouvelles du monde un peu à la manière de France Info ; ce livre vient dans la lointaine lignée du journal de Basho ; câest un journal de voyage sur place, dâun voyage restreint dans une aire définie, mental, immobile et mobile. De la date de préemption dâun produit dans le frigo à lâévolution du paysage, de lâanecdote au macrocosme, «  à tout ce fatras magnifique, reste à laisser lâentrée libre », Sandrine Cnudde suit une piste fauve, à lâinstinct, qui lâamène en état dâEve, à lâorigine de lâhumanité, mais mi-femme mi-animale, et lâinscrit « au patrimoine de [s]on humanité ». Revenant, grâce à la résidence, sur des lieux où elle vécut, nâen faisant aucune nostalgie, elle explore lâespace intérieur qui sâest construit, note lâévolution (par exemple dâarbres quâelle a plantés vingt ans auparavant, dont elle ne fait plus le tour des troncs à deux mains à présent), suit on ne sait quelle quête, mais la suit ; quâon imagine esquissée par les mots dâun poète « lâhorizon trace un trait dâunion entre les trois instances qui fondent dans la plupart des cultures , lâordre de lâunivers : la terre, lâhomme et le ciel, que les Chinois réunissent dans une triade indissociable, écrit François Cheng dans âHomme-Terre-Cielâ ».
Les diverses formes adoptées sâadaptent à ce que lâécriture veut faire passer : sensation du poème, réflexion et observation du journal, étrangeté de la cartographique carte-poème, instantanéité de la photographie. Poète, elle se met en disposition dâ« hyperobservation », en disponibilité au et du monde (ce qui peut être lâavantage dâune période de résidence). Si la bête, en tant que loup ou en tant quâanimal monstrueux ayant défrayé la chronique dans les Cévennes, est hyperprésente, tapie dans chaque mot, câest pour mieux filer la métaphore, de la piste, du mystère et de la peur que celui-ci recèle et qui peut bien être ancestrale comme la peur du loup et pourtant nous attire irrésistiblement vers de lâinconnu ; « à force de creuser mes sillons, de multiplier les explorations, de prendre contact avec diverses situations et paysages, je me découvre incluse dans des repères extérieurs et intérieurs très profonds ».
À la queue leu leu la poète file les indices quâelle détecte, accompagnée dâun animal domestique, son chien, son lien avec le réel immédiat. Si elle se laisse envoûter « par les perles rouges des fraises sauvages », quâelle dévore, nâest-ce pas une manière dâabsorber le monde, qui lâenvoûte ? : « Lâenvoûtement est réel, il mâest impossible de lutter contre la force de gravité qui me fait jeter un Åil dessus, jâavance, jâavance, je dis non-non, mais je finis toujours par me précipiter jusquâà la limite du lumbago, quand je porte le gros sac à dos. »
Le livre, disions-nous, suit le fil des quatre saisons, mais il en est une cinquième, qui prolonge le livre, lâouvre grâce au distique final, faite de poèmes uniquement, où « tout est tremblement à lâintérieur », parce que, voire, tout est émotion dans les pages qui précèdent, émotion du monde qui fait remuer lâintérieur qui est « un ciel trop vaste », câest-à-dire une cartographie mentale sans limites, et qui force à poursuivre, biengré soi, à marcher sur ce ciel trop vaste, alors magnétique, du monde.

Jean-Pascal Dubost

Sandrine Cnudde, Patience des fauves, éd. érès, 2017, 160 pages, 20â¬

 

 

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