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Ce que dit leur silence


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#1 michelconrad

michelconrad

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Posté 20 juin 2017 - 10:16

On parle de « règne végétal », comme d’une chose immobile, inébranlable, alors qu’il y a, parmi les fleurs, une succession incessante de « règnes » : quand la neige recouvre le jardin, les perce-neige, un jour, à toute force, se fraient un chemin vers le ciel, les primevères, peu après, déploient leurs couleurs. En mars, le prunus fleurit, inondant de sa marée rose tendre les branches, avant que les branches ne se revêtent, elles-mêmes, de feuilles d’une teinte plus sévère, au moment où les tulipes, aventurières du printemps, hissent leurs pavois multicolores, avant que, dans le jardin, les cerisiers, les mirabelliers, ne se parent d’une couronne blanche, virginale, tandis que, dans la campagne, l’aubépine, l’églantier consoleront le promeneur solitaire, et que le sureau fera, avant l’acacia, naître ses constellations immaculées…

 

Photographier une fleur, c'est photographier quelque chose qui n'existera bientôt plus, c’est rendre compte de son éclat, de l’incidence du soleil, mais souvenons-nous, aussi,  de ce que la photo ne peut dire : la douceur de l’air, la fragrance d’un parfum. Mais, surtout, souvenons-nous de Montaigne : « Le monde n’est qu’une branloire pérenne… La constance même n’est autre chose qu’un branle plus languissant ». Ce qui est « pérenne », c’est la succession ininterrompue de ces règnes, de ces ascensions vers l’acmé, que suivent, inexorablement, des déclins, des disparitions…

 

Il en va de même pour le règne animal : leur vie et leur mort sont programmées , comme la nôtre. Ne nomme-t-on pas « éphémères » ces insectes qui ne vivent que quelques heures ? N’y-a-t-il pas des plantes dont la fleur ne dure qu’une nuit ? Les animaux, dans les pâturages, ces diamants de l’innocence, ignorent que les attend le couteau du boucher, cette mort avant l’heure.

 

Près de la table sur laquelle j’écris, au bord de la rivière, j’ai, pour compagnes, quelques roses de Provins. J’ai construit, pour elles, une sorte de portique, pour leur permettre de prendre de la hauteur. Un colvert, qui s’était posé sur la rivière, s’envole, soudain, bruyamment, tandis que des dizaines d’oiseaux peuplent le matin de leurs babillages. Les roses, elles, sont silencieuses : je sais ce que dit leur silence.

 

 

 

20/6/17