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(Note de lecture) Georges Guillain, "Parmi tout ce qui renverse", par Camille Loivier


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Posté 30 juin 2017 - 08:41

 

6a00d8345238fe69e201b7c9074e3b970b-50wiOn ne comprend pas dâemblée, et ce mystère retient, le titre de ce recueil qui comporte deux parties, mais on se perd dans les multiples sens quâil engendre : renverser la tête en arrière pour voir le monde à lâenvers, « renversant », qualificatif qui ne sâemploie plus tellement, ou encore renverser quelque chose, le titre reste énigmatique, jusquâau bout même si on en trouve une orientation possible p. 22 :

mais juste la pensée quâil lui faudrait demeurer ici
plus haut que vivre simplement attentif
parmi tout ce qui renverse

Georges Guillain nous dit son attention, au monde, ce quâil en éprouve, nous sommes enfin reliés au monde, nous sommes « parmi » et non pas hors du monde, dans les mots aussi, et pas seulement.

Les deux parties de ce recueil « Une histoire dâIl » et « Quelques poèmes dâIl », ainsi que les sous-parties quâelles contiennent, forment, chacune à leur manière, des mondes à part, des voix à part ; chacune à sa personnalité, son rythme. Et même, dâun poème à lâautre, la forme, le fond, ne sont pas les mêmes, nous surprennent. Les variations typographiques nâont rien dâappuyé, elles sont là, semble-t-il, pour nous dire de prendre le temps, de mettre un accent, dâêtre attentif, et pour cela même, varient, que lâon ne sây habitue pas. Et puis, ce que lâÅil voit, lâouïe lâentend, car Georges Guillain profite du jeu des assonances, nâhésitant pas à faire bruisser, chuinter, bruire les mots. Il oblige à lire avec les lèvres, à prononcer : « pris dans la troupe cornaquée qui sâécarquille » (p. 29) ou encore « lâaudace flexible de lâeau/ qui bat les colonnes basaltiques » (p. 39). Cette variété typographique (barre dâespace, italique, majuscule, et même rature !...) qui répond au travail sur la langue sensible, la langue du sens et des sons, prend appui sur le rythme, que lâon perçoit en sourdine, bien cadencé, maîtrisé mais toujours fluide. Les exemples sont partout, mais citons un vers de « La vie par les bouts », ce long poème qui sâenchaîne comme une danse, une écharpe qui se déroule indéfiniment :

rien que radieuse plongerie du ciel
parmi le gros cÅur quâon portait
  
à se voir ainsi dans la rue sâesquinter
à rattraper/ la vie par les bouts (p. 103)

Le « Il » majuscule étonne, peut-être, il nous est amplement commenté par lâauteur, comme étant le sujet du poème, câest-à-dire un peu nous les lecteurs, un peu le monde qui aida à les engendrer, comme le soulignent sans pesanteur les notes, qui constituent une troisième partie du recueil, sans que pour autant le sujet disparaisse et se laisse relayer par un langage qui parlerait tout seulâ¦

La première série de poèmes « sans que personne lâentende » touche dâemblée, par la simplicité, la fraîcheur. Écrire des poèmes simples, est difficile, on le sait. Ils portent loin et avec peu de mots, une pauvreté, une ascèse qui libère lâÅil et lâouïe du lecteur. Les poèmes ont la sincérité dâune fleur qui sâouvre, sans doute parce quâils sont sous la protection de Bashô, comme tout le recueil, peut-être, ces poèmes ont lâaplomb et le vif dâun haïku (p.13):
 
mais parce que cela fait longtemps
quâil nâa plus écrit de Poème Il est content
de ce début dâaverse qui recolore
autour de lui les choses simples

                                               autrement

On peut rester longtemps à lâécoute de ce qui vient dâêtre dit ; écrire et vivre ne sâopposent plus, mais vivent en symbiose. Le monde est sans cesse présent dans ces vers, et il porte à réfléchir, à ralentir, à sâattarder. On est à lâécoute de lâinstant, attentif aux choses :

mais comme le souhaitait le poète
William Carlos Williams Il aimerait
quâécrire soit fait de ces mots lents et prestes
ouverts à lâattente et pénétrants jamais distraits
qui laissent la parole aux choses
non pour les vider dâinvention de mouvement

pour en prendre mesure

(p. 19 ).

Le monde naturel est présent. Ce nâest pas seulement une figure de style, un symbole, câest la réalité de notre monde dont il semble que notre siècle doive percevoir lâévanescence, bien tardivement. Plusieurs pages sont consacrées aux jardins. Sâil sâagit de jardins réels, visités, expérimentés, en un lieu et en un temps, le poète, Il, ne dédaigne pas lâhumain, pas dâopposition manichéenne nature/culture, homme/ animal chez Georges Guillain, qui nous a habitué dans ses précédents recueils, notamment, Compris dans le paysage, (Potentille, 2010) ou Avec la terre, au bout, (Atelier La Feugraie 2011), à adopter une attitude perspicace et amène pour ce qui nous entoure, et nous garde en vie, en tant que nous en sommes partie prenante.
 
Camille Loivier

Georges Guillain, Parmi tout ce qui renverse, Le Castor Astral, 2017, 128 p., 13â¬.

 

 

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