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(Note de lecture), Franck Venaille, "Requiem de guerre", par Antoine Emaz


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Posté 05 juillet 2017 - 01:56

 

6a00d8345238fe69e201b8d293326c970c-50wiDâentrée, dans un texte en prose faite de phrases courtes qui cinglent, on retrouve lâénergie de Venaille, sa violence contre soi, lâautre, le corps, le monde, la médecine, la mort⦠Dans un autre registre, on pourrait penser au tout début de Mort à crédit. La fin du prologue établit ensuite lâespace dans lequel va se tenir le livre, une sorte dâarrière-pays ou de zone intermédiaire entre le rêve, la conscience et la mémoire.
Si Venaille vise « la matière même du rêve » (p27,77), cela ne revient pas à collectionner de classiques récits de rêve comme des témoignages dâune activité inconsciente qui serait à analyser par ses « amis » « Simon Freude » et le « docteur Lévitan ». Le poète ne se présente dâailleurs jamais dans la pose du dormeur, mais plutôt dans celle de lâinsomniaque. Et ce qui lâintéresse dans le rêve, câest de pouvoir entrer « dans un espace où le temps est banni » (p37), et sûrement aussi la liberté quâil propose dans son apparente incohérence loufoque. « Ainsi se poursuit mon long cheminement dans la matière même du rêve, celui qui nâest pas dâessence divine. On peut le lire. On doit en rire (ce que lâon a pu se marrer !) » (p30). Un part du livre se situe là, avec beaucoup dâhumour et de drôlerie, lorsque le rêve permet par exemple de retourner le monde de lâhôpital en une sorte de mascarade macabre, de guignol souffrant (cf. pp38,29,61,89â¦). On pourrait peut-être dire que le rêve nâest pas ici un but mais un moyen pour retourner lâangoisse en rire, même si ce rire grince un peu. 

En effet, la conscience lucide du réel présent nâest jamais très loin et Venaille joue de ce contrepoint, alternant burlesque et tragique dans un savant et rapide entrecroisement. Au fond, le rêve et ses cocasseries est peut-être ce qui lui permet lâaffrontement avec le corps malade, la vieillesse et la mort. Certains passages, directs, ont une allure de bilan triste : « Ce soir je comprends que ma vie est faite de manifestations populaires, dâaffrontements de coins de rues. De ce sentiment de solitude qui mâa pris par la main, enfant. De disputes avec mon père vivant et mort. Mort. Surtout. » (p78), « Jâai grandâ lassitude à vivre. (â¦) Désormais je ne vaux pas plus que ces rebuts portés par le courant. » (p80), « Il y a du moraliste en moi mais jâai oublié le sens que je devais donner à tous ces mots. Oui, le bien, le mal, le poids de la faute. Tout cela a fait de moi un homme difficile qui sâest installé dans un état où douleur et colère prédominent. » (p88). Ces examens de minuit aboutissent à un constat de fatigue, dâépuisement dâêtre (pp57,98â¦) mais tout autant à un appel à la communauté humaine, au-delà des particularités personnelles : « Je suis un homme quelconque, rien quâun individu parmi dâautres. » (p93), « Dites-moi que nous sommes comme tous les autres hommes. //Rien que des humains » (p103).

Troisième polarité active, la mémoire : elle est liée aux deux forces précédentes puisque le rêve recycle ou ramène souvent du passé, et que la conscience lucide tend à placer la vie dans une perspective de bilan : « vieux â vieux â vieux & usé // dans lâabsolue nécessité de mettre mes souvenirs en place » (p98). Là encore, cette « mise en place » ne signifie pas mise en ordre, retour au récit autobiographique linéaire ; les souvenirs affleurent selon leur logique, sous des formes parfois différentes (ainsi pour le « cheval »), avec une insistance plus ou moins marquée, ainsi pour la guerre ou le père (pp47,78,98â¦). La séparation dâavec lâenfance est sans doute la part de mémoire la plus douloureuse dans ce livre ; elle apparaît particulièrement violente, comme une automutilation ou un suicide : « Cet enfant que jâai tué en moi vous lâavez maintenant devant vous. Je me suis tué sans haine et sans espoir de repentance. Câétait un meurtre nécessaire. Une pulsion de mort à mener à son terme. » (p100). Venaille ne cherche pas à reconstruire lâenfance en mots, mais le constat de la perte lève une mélancolie profonde, celle dâune quête vouée à lâéchec : « Je cherche à retrouver mon enfance et les signes de ma jeunesse qui se sont accrochés à elle. » (p48), « Je suis à la recherche de moi - enfant. Nous formions alors un couple auquel sâajoutait cette ombre qui, partout, nous suivait. » (p84), « Redevenir lâenfant des dunes. Il est bien tard et je nâai pas terminé mes devoirs. » (p13)⦠Dans ces pages, on entend lâ« enfant qui pleure » que Reverdy disait être présent au fond de tout poème vrai.

Alors, la poésie ? Même si elle « sâencrasse » (p101), elle demeure la force capable de soulever un peu le poids de lâexistence mortelle et de créer une relation vraie avec les « frères humains ». De ce point de vue, et sans faire de ce livre un hymne à lâoptimisme (ce serait difficile), Venaille nâest ici ni désespéré ni désespérant. Ce « requiem de guerre » nâest pas un chant de résignation essoufflée et morbide, il maintient un cap, une volonté et un espoir : « Mais quâest-ce quâécrire ? Et pourquoi sâagenouiller devant le langage ? Afin de conserver ce qui demeure de confiance en lâhomme. » (p93). On peut, il faut, se confier au « Mystère de la poésie qui porte en elle cet élan / cet appel de la vie / jusque dans lâarène où les hommes, bientôt, devront / mourir. » (p20)

Antoine  Emaz

Franck Venaille, Requiem de guerre, Éditions Mercure de France , 2017, 110 pages, 11â¬

 

 

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