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« C’est très-certain, c’est oracle, ce que je dis. »


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1 réponse à ce sujet

#1 michelconrad

michelconrad

    Tlpsien +++

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Posté 17 juillet 2017 - 05:41

La phrase de Rimbaud « C’est très-certain, c’est oracle, ce que je dis. », est à mettre en relation avec cette autre phrase du même Rimbaud : « le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens. ».

 

Le « dérèglement » des sens du poète est une violence faite à la vie prosaïque, à l’acceptation résignée de la vie de tous les jours. Il lui faut sortir de sentiers battus, comme le « bateau ivre » rompt soudain ses amarres et s’exclame : « je ne me sentis plus guidé par les haleurs  ».

 

C’est cette errance même qui permettra qu’on tende, enfin , «  des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d'or d'étoile à étoile, et [qu’on] danse  ».

 

 

 

13/7/17



#2 serioscal

serioscal

    Serialismo Rigoroso

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  • Une phrase ::All series are not red. But some are. They burn-speak.

Posté 19 juillet 2017 - 08:40

Permettez que je pose un doute sur votre lecture. Il me semble en effet que la première phrase que vous citez est toute ironique chez Rimbaud, comme beaucoup d'exclamations empruntées aux "discours d'autorité" (science, religion, politique). C'est toute l'ambiguïté de son "Il faut être absolument moderne" dont Henri Meschonnic avait dénoncé le contresens entretenu par de nombreux modernistes. Ici, pareillement, on voit l'assertion se détruire dans une "vision" mise à mal par ses errances, même :

 

"La science, la nouvelle noblesse ! Le progrès. Le monde marche ! Pourquoi ne tournerait-il pas ?
 C'est la vision des nombres. Nous allons à l'Esprit. C'est très certain, c'est oracle, ce que je dis. Je comprends, et ne sachant m'expliquer sans paroles païennes, je voudrais me taire."
 
La phrase la plus intime de ce long passage, c'est la toute dernière : "je voudrais me taire" qui elle-même fait écho à son déchirant "Je ne sais plus parler". Certes, le jeune Rimbaud encore très hugolien a de la poésie une acception "visionnaire" mais ce qui le rend si attachant et si significatif pour nous aujourd'hui, c'est cet au-delà / en-deçà de la vision et du discours oraculaire. Il atteint au silence, non par une épure conduisant à l'effacement de la parole mais par une saturation générale de tous les registres du discours dans son exercice du poème. 
 
Les espoirs, les croyances, les rêves, l'utopie même, ne sont pas absentes chez lui. Mais elles ne peuvent dominer car toute la poésie de Rimbaud est une lutte entre des univers discursifs inconciliables. Jean Grosjean, en son temps, montrait merveilleusement comment, dans certains passages de la Saison, on entend alternativement la voix de sa mère et de son père, comme s'ils se disputaient au sein même du poème. 
 
L'enjeu des lettres du voyant, ce n'est pas tant la voyance elle-même - elle appartient à l'héritage de Victor Hugo - que l'intransigeance d'une pratique de la poésie qui va vers sa dimension la plus asociale, sans savoir ce qui la meut réellement. Et là, on retrouve cette autre proposition : "Il n'en va pas de sa faute si le cuivre se fait cor", etc.