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Plire plira (saynette)


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#1 serioscal

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    Serialismo Rigoroso

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Posté 19 juillet 2017 - 08:54

Le narrateur est assis. Il se lève. Il regarde la circonférence de la salle. Il dit :

 

N - C'est quelque part. Quelque part dans la verdeur de l'herbe. D'une herbe qui paraît assez verte même s'il fait nuit.

 

N - C'est quelque part. Bon, eh bien quelque part de nuit, il y a une certaine verdeur d'herbe. Une verdeur spéciale. Pas phosphorescente, non mais le halo est quand même pas normal, ce n'est pas un reproche. Le halo vert de l'herbe encercle l'arbre.

 

N se rasseoit. Il se relève et part d'un côté de la scène.

 

N - L'arbre, c'est une bataille permanente. Ses branches sont des chevaliers armés de lances qui se trucident les uns les autres tout au long de la nuit. A cause de l'ombre. Mais on n'en est pas là.

 

Le narrateur respire fort. Il se recentre un peu et il reprend.

 

N - Dans la verdeur de l'herbe. Il y a un arbre. On peut le voir d'une fenêtre x, éclairée par une lumière accidentelle, une lumière qui n'avait pas lieu d'être là. Et quand il pleut, c'est pire.

 

Le narrateur retourne s'asseoir. Il reprend, assis :

 

N - La pluie. Rien. Rien. La pluie. Non. Rien. Rien. Et l'on ne sait comment la nuit et la pluie peuvent se superposer ou se juxtaposer de cette façon mais cela arrive, croyez-moi. Un de mes amis aurait dit : "Cela arrive plus souvent qu'on ne l'imagine" ou "qu'on ne le dit". Et d'ajouter : "On ne le voit pas toujours. Mais cela arrive."

 

N - Vertuns disait cela. Les murs s'écroulaient autour de nous. On regardait ça avec satisfaction. De l'autre côté, il y avait ce satané périmètre du jardin. Les ombres devenaient des arcs, ironiquement. C'est peut-être un drame purement végétal, vous comprenez ?

 

N - A un moment il a pu y avoir une flaque, des résidus. Mais le temps a séché tout cela bien vite. Permettez-moi de le préciser : "le réel avéré", c'était une blague.

 

N - C'est comme si quelqu'un avait fait exploser la porte d'entrée de sa maison et avait dit ensuite : "j'ai ouvert la porte. La porte est ouverte".

 

N - Vertuns n'aurait jamais fait une chose pareille mais on n'en était plus là. On était à l'heure des chutes d'automne et le dessin du ciel figurait ça, des arcs, descendant en pagaille et souvent brisés - mais brisés dans le ciel ?

 

N - Je ne sais pas. Je ne sais. Je ne pourrais le dire. Je ne sais pas grand-chose et j'ai quand même l'impression qu'il n'y avait pas grand-chose à voir - ou à ne pas être vu, ce peut être ça aussi.

 

N - La verdeur de l'heure.

Le réel incriminé.

La quasi asphyxie

de l'arbre.

Le potager, pas loin

et pas

exactement calme

la nuit et l'herbe

fléchissait en écoutant

les branches plier à demi

sous les contours du vent.

 

Le narrateur se lève.

 

N - On se croirait dans un épisode de Derrick. Mais dans Derrick, il y a des meurtres. Tout le monde sait qu'un meurtre a eu lieu. Un meurtre a été commis. Quelqu'un s'étonne : "Un meurtre ?" Et on lui répondra sévèrement : "Oui, un meurtre, Ingo. C'est un meurtre qui a été commis.

 

Le narrateur allume un téléviseur qui diffuse des épisodes de Derrick plongé dans la nuit. Il n'y a pas de son. Le narrateur enchaîne.

 

N - Mais il ne s'agit pas de meurtre ici. C'est un paysage, voyez ? C'est pour ça qu'on a pris une photo. Un arbre entouré d'herbe dans la nuit. Et on peut deviner qu'il y a du vent car les branches de l'arbre plient un peu. Il n'y a pas beaucoup de vent.

 

Le narrateur monte le son du téléviseur. Ce n'est qu'un souffle continu de bruit blanc. Et le narrateur se détourne du téléviseur pour continuer.

 

N - Il y a peu de vent mais il est sensible. C'est pour ça qu'on a pris des photographies de la scène, même s'il n'y a pas de photographie de la scène. Le vent est assez stable, quoi qu'il en soit. Et le jour semble un peu figé dans cette posture de torture sans protagoniste. De torture plutôt que de meurtre.

 

Le narrateur s'assoit.

 

N - Il y a somme toute peu de représentations de la torture dans Derrick.

 

Il se relève et se souvient :

 

N - L'ordre était végétal, purement végétal. Quelqu'un, communiquait avec l'ordre végétal. Mais il s'en dégageait une série d'hallucinations aux contours surannés, comme des vignettes d'un temps ancien de l'industrie de l'autocollant. L'arbre et sa respiration. Un arbre contempteur. L'étranglement du cou de l'arbre. Une tentative stérile mais réelle. Qui agresse qui ? L'arbre ne fait-il que se défendre, au fait ? Et quel spectacle se décompose en mille bris ?

 

Le narrateur se sent obligé d'aller à une extrémité de la scène. Il énonce d'une voix très aiguë :

 

N - Pli. Pli. Pli. Pli.

Pli. Pli. Hum.

Pli. Pli. Pli. Pli. Pli.

Je chante.

Permettez-moi de chanter.

 

Le narrateur retourne au centre approximatif de la scène. Il semble vouloir expliquer quelque chose sans bien savoir comment s'y prendre.

 

N - Même l'arbre était peut-être absent de la scène. Même l'herbe. Son rayonnement n'était que passager ou il n'aurait jamais eu cette résonance présumée enfin. Ce serait l'asphyxie, une coloration de l'air spectaculaire ! De nuit ! Avec le vent et la fenêtre éclairée en spectatrice. Tout le monde dort à cette heure.

 

Le narrateur éteint enfin le téléviseur. Il se dirige vers le milieu de la scène mais semble remarquer quelque chose, au sol, sur le côté.

 

N - C'est comme cette flaque, là ! Si elle avait tout absorbé, dans le temps, les détails exacts puis les évidences du paysage, pour ne laisser que des branches tressaillantes germer pour batailler.

La naissance.

Le destin de ces branches.

Car c'est encore l'automne. Ensuite, ce sera l'hiver mais pour l'instant, c'est bien l'automne qui a prise. Vous verrez comme les paroles tombent, elles aussi ! L'air du temps n'est pas seulement sec et suranné, saturé de colorations acides ou même sulfaté, il est armé de petits couperets très efficaces qui agissent sur le derme de la nuit. Bientôt viendra l'hiver, peut-être ? L'hiver dans le givre, ça paraît atone et effroyablement défiguré. Même au printemps, s'il y a un printemps, plus tard. Et l'été, c'est les ligaments qui se mêlent à tout ça, l'été est indistinct ! Tout tombe en automne. Mais ce n'est pas ce qui tente d'attenter à autre chose.

 

Il se relève.

 

N - On n'allait pas refaire tous les dessins de la nuit, quand même. On aurait dit : "Oui, vous comprenez ? Il fallait voir arbre fois falaise ! Arbre fois falaise ! Arbre fois falaise !" Trois fois, etc. Et faire comme si tout était suffisamment élucidé, poursuivre.

 

Une voix autre, venue des coulisses :

 

V - Tchout ! Tchout ! crie la locomotive !

 

N - Il faut partir.

 

Le narrateur fait mine de suivre un chemin. Pas à pas. Un chemin sinueux.

 

N - C'était dans la verdeur de l'herbe. Quelque part. Il y a eu quelque chose qu'on pouvait assimiler à de la phosphorescence (verte) mais qui n'était pas de la phosphorescence. Et qu'on pouvait assimiler à la résonance, une résonance de cavalcade par nuit orage dans le bruit extérieur calme. Calme de chais. Des voix irrégulières ponctuaient les accès passagers de vent et le tableau semblait basculer, ce qui paraissait anormal parce qu'il devait tomber, lui aussi, à une heure de l'automne, ce qui détournerait l'attention un temps avant, peut-être, de restituer l'écho même affaibli, avachi, de la séquence précédente. La carte où l'arbre se tord drôlement, comme si l'on avait attenté au paysage !

 

Le narrateur s'arrête. Il regarde au-dessus de lui avant de se mettre à raconter :

 

N - On avait déjà fait ça auparavant. Il faut imaginer une rue de banlieue qui se termine par un terrain vague. On peut aller à la gare par différents biais et il y a pas mal de trains qui passent par là, même la nuit. Derrière le terrain vague, il y a une maison. Il y a plusieurs maisons dans les environs. Une a connu un épisode tragique. Une explosion a tué un homme, un jour. On ne sait pas ce qui est arrivé.

 

Le narrateur s'interrompt. Il va chercher la chaise qui est à côté de la table et la pose plus près du devant de la scène. Il s'assoit dessus, absorbé dans sa remémoration.

 

N - Les injonctions. "Tu ne peux fuir. Tu ne peux nuit fuir." Ou bien : "Orage nuit. Orage nuit. Nuit fuir, etc." Oui, eh bien ces voix n'expliquaient pas grand-chose et on peut bien dire qu'elles n'avaient pas de densité,pas de clarté ! Vous avez déjà vu un ignotron ?

 

Le narrateur se fige un temps. Mais il revient à son histoire.

 

N - On n'en voit pas, bien sûr. L'ignotron n'est pas toujours une réalité visible et c'est très bien ainsi. Mais vous ne croyez tout de même pas que je vais vous parler de mes vieilles armoires, sans vous avoir entendus, vous ?