Il y a bien longtemps, à Domrémy, j’ai assisté à une messe du soir, alors que j’étais seul dans la petite église où fut baptisée Jeanne. Ce rituel des vêpres était comme une flamme que l’on entretient dans un lieu sacré. Quelque chose se perpétuait ainsi, comme par une invisible nécessité, non loin de l’endroit où Jeanne entendit ces voix qui lui intimaient l’ordre de sauver la France. Aujourd’hui, il n’y a plus de vêpres dans la petite église, et la maison des prêtres, de l’autre côté de la rue, a été vendue à l’encan.
Autrefois, la maison de Jeanne était ouverte à tous les vents, avec de simples pancartes priant les visiteurs de cesser d’en entailler les poutres avec leurs canifs, pour rapporter, à travers le monde, un souvenir. Aujourd’hui , le barnum touristique a pris le relais : barrières, tickets d’entrée, subventions du Conseil Général….Mais, par une porte dérobée, la poésie s’en est allée, elle aussi : la poésie est une rebelle, on ne l’enferme pas ainsi, on ne lui intime pas l’ordre de rester sagement assise à la place indiquée.
La poésie a, aussi, quitté, subrepticement, Carnac, lieu autrefois abandonné à sa propre magie, où l’on pouvait voir surgir, soudain, comme venu de la nuit des temps, auprès d’un menhir, d’un dolmen, un joueur de cornemuse. L’âme de l’endroit était préservée. Aujourd’hui, le site est entouré de barrières et les touristes doivent le contempler, du haut d’un promontoire.
On n’entre pas davantage, désormais, dans la grotte de Lascaux : il faut se contenter d’un simulacre de matière synthétique, construit à quelque distance, où les fresques ont été peintes soigneusement, par des artistes monnayés pour le faire, d’après l’original.
Puisque beaucoup d’espèces d’animaux sauvages sont en voie de disparition, il faudra, bientôt, se contenter de les admirer dans des zoos, dans des aquariums. Quand « les villes tentaculaires » auront complètement envahi le monde, on n’admirera les fleurs que dans des jardins botaniques, peut-être clos de toutes parts, climatisés, sous des bulles géantes de plexiglas.
La dernière étape du processus est déjà commencée : on nous invite à regarder le monde dans des périphériques de réalité virtuelle « Oculus Rift » . Au moyen de ces accessoires, on nous invitera, bientôt, à vivre de fausses histoires d’amour, de même que dans certains hospices, on propose à de malades frappés par la maladie d’Alzeimer (et qui sont obsédés par l’idée de voyager, de quitter l’endroit où on les maintient), un faux voyage, dans un faux train : un écran leur présente un paysage qui défile à vive allure.
Nous sommes, nous serons, désormais, condamnés au seul regard, la chair des choses nous est, nous sera de plus en plus interdite.
15/7/17
