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(Note de lecture), Jean-René Lassalle, "Rêve : Mèng", par Michèle Métail


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Posté 24 juillet 2017 - 08:57

 

6a00d8345238fe69e201b8d298e54d970c-50wiDepuis un précédent ouvrage paru en 2012 chez le même éditeur, on connaît lâintérêt de Jean-René Lassalle pour le poème carré. Câest avec la même fascination pour ce magique quadrilatère quâil aborde la poésie et la langue chinoises dans un nouveau recueil. Une langue apprise il y a une vingtaine dâannées remonte à la surface de la mémoire, comme des bulles dâair venant éclater à la surface de lâeau. Une constellation de mots se dessine alors, organisée selon des règles géométriques strictes mais qui laissent toute liberté à lâinterprétation.

Le recueil sâouvre ainsi sur une première partie intitulée Dans le style ancien. Quatre poèmes chinois choisis parmi les plus célèbres de lâépoque des Tang (618-907) font lâobjet dâune traduction singulière. En effet lâauteur applique au français les caractéristiques de la langue ancienne chinoise : un mot = une syllabe = un signe dâécriture. Il choisit de transposer ces textes en employant seulement, comme dans lâoriginal, des mots dâune syllabe. Les quatre poèmes choisis sont des quatrains pentasyllabiques, ils comptent donc 20 mots répartis en quatre vers de cinq syllabes. Quatre par cinq ne fait pas un carré. Quâà cela ne tienne, lâauteur ajoute un vers à la fin, plus exactement il reprend le premier quâil répète en conclusion. Procédé qui rappelle la tradition chinoise des poèmes chantés dont les textes courts ne suffisaient pas à faire durer le plaisir. Accompagnés à la cithare ou au pipa les chanteurs reprenaient les quatre vers en boucle, en ajoutaient parfois de nouveaux.

Dans ce livre un premier carré présente le poème chinois, un second sa transcription phonétique et un troisième sa traduction monosyllabique. Le poème de Wang Zhihuan « En montant au pavillon de la cigogne blanche » sâintitule ici « Grimpe-tour ». Traduction dâune économie radicale à laquelle lâauteur superpose les quatre tons du chinois. Il faudra par exemple prononcer lueúr au premier ton ascendant et joùr au quatrième ton, descendant, selon le code graphique en usage dans la transcription du chinois. En empruntant à la langue source ses spécificités et en les appliquant par hybridation à la langue cible, celle-ci se pare dâune étrangeté nouvelle. 

Dans la seconde partie, quatre nouveaux carrés alignent chacun 25 caractères chinois. Ils ne sont pas tirés dâune Åuvre existante mais sont des réminiscences de cette langue apprise autrefois par lâauteur. Les vingt-cinq mots disposés en carré ne composent pas un poème chinois. On y retrouve parfois des associations faisant sens : waiguoren = un étranger ou ni shi wo bu shi = tu es je ne suis pas ou tu es moi non . Ces vingt-cinq mots servent de matrice à des variations. Ils laissent libre cours à lâimagination. Lâauteur reprend ici la tradition des « Poèmes à lecture retournée » (Huiwenshi), qui multiplient les sens de lecture (de gauche à droite, de droite à gauche, de haut en bas, de bas en haut etc.) ouvrant sur une poésie combinatoire. Les jeux homophoniques : tu es je semble pas être dans le premier poème, vers deux ou être nâest jeu et toi es-tu ? dans le deuxième, vers quatre, rappellent la polysémie propre à la langue ancienne chinoise.

Jean-René Lassalle nous entraîne dans une zone dâinteractions entre deux langues. Les effacements, les manques, les distorsions, les rapprochements inattendus génèrent un flou propre à la matière du rêve meng. Le caractère, dans sa forme ancienne, est reproduit en écriture régulière sur la couverture, en écriture courante au dos illustrant ce passage dâun mot à lâeffet vaporeux, réminiscence dâune forme.

Michèle Métail

Jean-René Lassalle, Rêve : Mèng, Editions Grèges 2016

 

 

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