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(Note de lecture), Anne Kawala, "Le coeur du coeur de l'écrin", par Roland Cornthwaite


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Posté 26 juillet 2017 - 09:29

 

6a00d8345238fe69e201b7c90f6d0a970b-50wiLe 3 janvier 2016 Anne Kawala donnait lecture dâun texte au Musée Dobrée à Nantes. Commande conjointe du Département de Loire-Atlantique au travers du dispositif « Grand Patrimoine » et de la Maison de la Poésie de Nantes, il sâagissait dâécrire un texte à partir de lâEcrin du CÅur dâAnne de Bretagne. Derrière la vitrine contenant le dit-cÅur, lâauteure avait disposé une trentaine de textes en format A4 quâelle choisissait au fur et à mesure de sa lecture, organisée en deux passages dâune vingtaine de minutes.

Aujourdâhui il sâagit dâun livre de plus de deux cents pages paru aux Editions Lanskine : Au cÅur du cÅur de lâEcrin.
Nous ouvrons une couverture à lâéclat doré enchâssant tous les poèmes trouvés « au cÅur du cÅur de lâécrin ». Lâabordant dans les premiers textes avec ses souvenirs scolaires de leçons dâhistoire, Anne Kawala pose dès la première page la question qui sera le fil conducteur de lâensemble des textes : « quelle est donc la place de la femme dans cette société ? » - page 7
Mais lâécrin du cÅur contient bien dâautres questions. En suivant ces recherches, nous sommes entrainés dans une profusion de pistes, dâhypothèses, de récits dâhistoires, petites et grandes, de contes et de détours. Et dâun objet faisant le tour, faisant lien avec notre actualité, rapportera aux fées, et des fées au fatum, les faits, la fatalité des images que le pouvoir manipule.

Dans son précédent livre, Le déficit indispensable (screwball) â Al Dante â 2016 - nous suivions une chasseuse-cueilleuse. Ici sur les traces dâAnne de Bretagne, nous suivons une duchesse deux fois reine.
LâEcrin du cÅur, objet hautement symbolique â tel que dans une situation identique Olivier Domerg en avait écrit, avec humour et sens critique â devient le centre dâune recherche autour des femmes. Nous suivons celles qui ont fait lâHistoire de France, dâalliances en traités, de mariages en maternités, et de morts en morts.
Sous le regard dâune femme, une autre histoire se dessine. Cousant celle quâont faite les hommes aux motifs tels que les femmes les font : petites histoires des femmes dans le silence que les hommes leur font. Anne Kawala cherche où et quand les femmes ont été effacées. Quelles lois leur ont coupé la parole et la route, les écartant du pouvoir, des activités économiques, scientifiques, sociales.
Anne Kawala, en Reine Mathilde, brode à la page sa tapisserie et réécrit lâhistoire au nom dâAnne de Bretagne à laquelle elle sâidentifie par son prénom, puis au nom de toutes les femmes, aux noms de « celles et ceux qui se taisent » - page 71. Non sans se méfier dâelle-même car « pour quâune impartialité naisse / il faut dire cette partialité â¦ pour pouvoir en égalité penser » - page 26.

Dans une écriture tressée de bras de femmes en ventres de femmes, tressée de descendances et dâascendances, de lignées de pouvoirs, des travées liant les siècles et les continents, elle utilise toute la palette de sa langue, alternant poèmes historiques en prose et poèmes en vers. On peut aussi y lire la mémoire dâune forme ancienne qui viendrait par porosité influencer une écriture contemporaine. Une écriture qui nâaurait pas de bornes, qui réinventerait le lyrisme, comme en peinture la Nouvelle Figuration réintroduit le dessin et la narration dans le tableau :

« au cÅur du cÅur de lâécrin se trouve un compartiment secret plein 
de sable, de sel et de marais, rempli secret dâherbes folles, de prairies
sauvages, de forêts ancestrales, plein de vent cet immense compartiment,
ce compartiment secret se découvrant au cÅur de lâécrin grand comme
lâocéan y murmurant » page 81

Une écriture qui sâenroule sur elle-même, inverse la langue, la retourne. Renversement du pouvoir de la langue, son assouplissement. Une écriture sincère, car Anne Kawala sait aussi, en poète, mêler son histoire, un « je », à ses travaux :

« contre le pouvoir mon cÅur bat
pour lâamour mon cÅur bat » - page 80

« la ville où qui jâaime mâa emmenée » - page 177

CÅur radiant nommant poèmes chacune de ses pages.
CÅur dâamour, du fin-amour médiéval à la  plus triviale partie de cul,
CÅur de légendes, arthuriennes de préférence, puisque géographiquement bretonnes,
CÅur littéraire croisant Rabelais et Voltaire autant que Virginia Wolf,
CÅur géographique, de Nantes, de la France alors en devenir, de lâEurope avec ses rivalités et ses guerres, du monde arabe et entourant la terre, dâOrlando aux Etats-Unis jusquâau Japon.

Puis nous refermerons le livre et nous tiendrons dans les mains cet écrin faisant la somme de tout ce qui converge vers, tout ce qui chemine avec, venant de, venant dâoù, tout ce quâil porte en lui et tout ce quâil irradie.

Roland Cornthwaite


Anne Kawala, Au cÅur du cÅur de l'écrin, éditions Lanskine, 2017, 240 pages, 14â¬

 

 

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