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(Note de lecture), Hélène Bessette, "Vingt minutes de silence", par Véronique Pittolo


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Posté 28 juillet 2017 - 08:33

 

6a00d8345238fe69e201b8d29a6397970c-50wiDans ce livre étrange (roman, récit, témoignage), lâauteure déconstruit la norme narrative dâun genre mineur (le roman policier), et fait vaciller nos certitudes.
A partir d'un fait divers (le meurtre d'un père), elle interroge la famille  comme une entité étrange, névrotique, explorant ses dysfonctionnements. La structure linéaire du roman policier traditionnel explose, se disperse,  comme explose lâillusion affective et sécurisante de la famille nucléaire (père névrosé, mère désinvolte, enfant souffrant).
Ressassante, obsédante, la phrase de Bessette dit sans la décrire lâexistence dâun enfant soumis à infantilisation des adultes (mère volage, père violent).
Ce livre est une lente descente vers la névrose de lâenfer familial.
A lâheure où la presse ressort les méandres de lâaffaire Grégory, est-il besoin de comprendre que la littérature est le moyen le plus puissant de révéler ce qui ne va pas dans ce microcosme ?
Enfermée dans ses codes et ses convenances, ses non dits, la famille est le siège dâune tragédie permanente qui ne peut que conduire à la catastrophe.

Bessette établit une généalogie des états traumatisants de l'enfance :

Lâenfant sans bonheur
Lâenfant sans espace
Lâenfant sans avenir
Lâenfant sans âge
Lâenfant sans mère
Et naturellement,
Lâenfant sans père
Puisquâil lâa tué.

Le petit héros meurtrier renvoie à lâacte fondateur originel (Eschyle, Shakespeare), et loin de rabaisser la tragédie au niveau de lâanecdote, le fait divers donne à chacun un rôle, une malédiction éternellement rejouée. La mère apparaît à lâombre dâAntigone, de Médée, ombre menaçante : 

Madame sort en chemise de nuit, la chemise de nuit des soirs tragiques
en haut du grand escalier à la lueur sinistre des torches ancestrales


Topos typiquement tragique, le meurtre fondateur est une catharsis, un désir de justice dâabord reporté, qui finira par se résorber dans la fatalité de lâacte accompli.

Beaucoup de parents giflent leurs enfants et leurs enfants ne les tuent pas.
Les gifles de mon père signifiaient mon appartenance complète, ma dépendance inéluctable.

Que nous dit Bessette, au-delà de la chronique judiciaire ? Porte-voix des petites gens (enfants, domestiques), de ceux quâhabituellement on nâentend pas, elle exhibe lâaliénation fondamentale, première strate de toutes les aliénations (sociales, économiques, politiques). Lâenfant du meurtre de Vingt minutes de silence répond à la bonne dâun autre livre (Ida ou le délire), celle qui nâa pas pu mener sa révolte, encombrée par ses trop grands pieds qui ont provoqué lâaccident fatal.

Le poète aveugle, sourd et muet ne peut crier que dans un langage en dehors des lois â¦.
Il n'est pas le premier enfant criminel
Ils sont tous pareils ces enfants. leur souffrance éclate : Ils tuent.

Je pense aux Bonnes de Jean Genet, au dernier Thomas Bernhard qui, dans Extinction, désamorçait dans une prose étourdissante lâunivers oppressant de son enfance (les parents y étaient décrits comme des personnages vils, sinistres, ridicules).

Ce roman inédit dâHélène Bessette la rattache aux grands romans modernes de la colère (je pense aussi au Mars, de Fritz Zorn).
Nous ne pouvons que remercier le remarquable travail dâun éditeur, après lâexcellente initiative de Laure Limongi aux éditions Léo Scheer, de publier désormais lâÅuvre intégrale de cette écrivain fondamentale (Le nouvel Attila, label Othello).

Véronique Pittolo

Hélène Bessette, Vingt minutes de silence, éd Le nouvel Attila, 2017, 176 p., 17â¬.

 

 

4QHazM6UqbY

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