Anael Chadli ne se définit pas : « Les poètes me considèrent comme dessinateur et les dessinateurs comme poète, de sorte que je ne me sens jamais à lâétroit dans une étiquette, je suis toujours lâautre de chacun ». Il dessine, trace, esquisse des paysages dâécriture en prenant comme matière première le texte ou le livre dâun auteur. Il voit peut-être dans un texte le paysage mental de son auteur, et tente dâen restituer la perception quâil en a, récrivant le texte, à renfort de palimpseste, mais dâune manière spatialisée, quâil nomme « Paysages dâécriture ». Ni poète, ni dessinateur, voire, mais grand lecteur, assurément. Ces « notes de voix » non plus nâentrent pas en définition, car, bien quâelles soient datées à la manière dâun journal :
« 5 janvier
Ceci nâest pas un journal. Tout juste la tentative de partager le vivant de Voix, son processus de germination soumis au gel, au climat, à mes propres limites. »
Sans être de la poésie spatialiste, ni de lâ « action writing », quoiquâon pense au Grand Graphe de Hubert Lucot, le travail « plastique » dâAnael Chadli est intrigant.
Anael Chadli vit dans la compagnie des écrivains, de leurs livres, devenant à force de présence, ses daimons, ces anges étranges en doubles bénéfiques ; « Lire câest suivre des yeux la présence invisible. Celui dont vous parlez se tient à vos côtés. » (Pascal Quignard)1
Ces notes accompagnent un processus de création qui va et vient du texte au dessin, du dessin au texte, et avec telle force de réflexion quâun point de jonction naît de la fusion, indéfinissant son propre travail de créateur : pages de dessin, ou pages dâécriture, sinon, assurément, les deux ; ce que, en ses notes, Anael Chadli remet en question constamment. Il cherche la note juste par le regard, lâimpossible fusion synesthésique. Ces notes livrent les pensées dâun artiste en proie au doute constant, à un doute tantôt moteur, tantôt paralysant ; les pensées dâun artiste dans la toute solitude que génère un esprit concentré sinon obsédé sur et par sa propre création, et dans la précarité qui sâensuit de lâexigence (la question matérielle du comment (sur)vivre se pose régulièrement). Anael Chadli est habité par la littérature, vit la littérature nuit et jour. Il élabore des « Poeysages », à partir de poèmes (de Valérie Rouzeau, dâAbdallah Zrikaâ¦), nidifiant dans leurs espaces « pour accueillir les oiseaux migrateurs de la langue ».
« Travailler au contact de la poésie, cultiver lâhumus profond de lâhomme dont parle Artaud, retourner le langage, semer les mots, les faire circuler de lâespace vide en moi à lâespace vide de la page, vers le regard. »
Mêlant notes de réflexion, nombreuses citations dâauteurs, poèmes personnels (méta-poétiques), ce livre trace un chemin vers le grand impossible de la création, littéraire ou plastique. On sent cela, le perçoit, chez Anael Chadli, à un degré dâincandescence tel, quâil y a dépression créative. Il y a géhenne avouée de la création, mais combattue néanmoins ; « tout semble insurmontable par la pensée ».
Lâéditeur a judicieusement inclus quelques reproductions du travail verbo-visuel dâAnel Chadli.
La lecture de ce livre offre le privilège dâassister au long et lent, et pénible, processus de dépossession de soi, en tant que lecteur et en tant quâartiste plongeant le regard dans les abysses textuels pour en capter lâétrangeté ; avec toute la part de risque que cela suppose, dâexposer cela. Ce livre est une exposition virtuelle, celle du doute créateur.
Jean-Pascal Dubost
1 « Petit traité sur les ange », in Apulée, Le Démon de Socrate, Rivages Poche, 1993
Anael Chadli, Notes de voix, préface de Marie Cosnay, Approches, 208 p., 17â¬
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