Bonsoir amis poètes,
Je suis tombé sur un truc facebook où un de mes amis disait qu'il était en train de lire Ravage de Barjavel.
Du coup j'ai écris un truc. Je me demandais ce que vous en pensez, voir si je peux améliorer mon post.
C'est un roman assez moyen, bien qu’il soit considéré dans l'histoire de la science-fiction comme un chef d’œuvre. Le fait qu’il soit considéré comme un chef d’œuvre prouve déjà la faiblesse du genre (pour lequel j’ai pourtant un profond respect, je vais y venir, quand le genre se dépasse et atteint le registre poétique). Je dis ‘moyen’, c’est pour ses faiblesses, où les personnages ne sont que des archétypes, sans profondeur psychologique. Dans la lignée des archétypes de Jules Verne, fondateur de l’anticipation française, au talent de conteur indéniable, mais encore créateur d’archétypes. Le plus fort de ces archétypes, c’est celui du Savant tout puissant, tout créateur, qui a réponse à chaque solution matérielle (beaucoup de ressemblance avec l’ingénieur, personnage principal de Ravage...). On pourrait parler de l’influence d'Auguste Comte, et de la science remplaçant la religion comme absolu, ce qui est une erreur fatale pour moi, mais qui est la trace métaphysique du roman d’anticipation français, et ici je note une différenciation avec l’esprit américain (Bradbury, Philip K. Dick, ces grands Cerfs Mystiques...).
Le grand défaut de la littérature d’anticipation est de ne présenter que des archétypes. C’est justement l’exemple du « Meilleur des mondes », meilleur bouquin d’anticipation du XXeme, pour la justesse de ses conclusions qui s’accordent, curieusement, au « 1984 » d’Orwell. Par sa présentation du monde à venir, il est évidemment très fort, très juste, et nous constatons aujourd’hui nombre de ses considérations : fascisme du désir, société de caste, développement de l’eugénisme (et d’une forme de transhumanisme, très contemporaine), recherche d’une évasion qui reste douce ( le « soma » n’est que, contemporainement, un équivalent de la légalisation du cannabis, une drogue qui nous évade, sans même une gueule de bois, du travail, sans le remettre en question, drogue qui peut même voir créer un culte, une parodie de spiritualité). A travers ça et ce personnage sauvage, qui ne trouve pas sa place dans le monde « rationnellement parfait » (le monde « rationnellement parfait » est le « meilleur des mondes » : aseptisé, froid, calculé, d’un hédonisme, pure expression égotique, la sexualité comme défouloir, la raison débarrassé de son pendant essentiel : la culpabilité) on perçoit l’incapacité d’Huxley a atteindre l’absolu littéraire, le poétique.
Il y a trois personnages essentiels dans ce « Le meilleur des mondes » : un scientifique essentiellement vertueux, un homme dont la révolte est essentiellement narcissique (c’est à dire qu’il se rebelle parce qu’il est maltraité, et sa révolte se base sur les refus sexuels qu’il a subi, et non sur une construction intellectuellement raisonné de la critique d’un système) et le sauvage. Et Huxley, justement en cela essaie dépasse le genre, pour faire de la littérature d’anticipation quelque chose d’ancré dans une tradition spirituelle. Il crée ce personnage, résolument à part, dans le « meilleur des mondes » : un sauvage élevé dans une tribu, qui a appris à lire avec Shakespeare. Soit, retrouver le monde d’avant, un monde spirituel et poétique. La seule personnalité féminine du roman est attiré par ce sauvage, différent, parce qu’il « sent la sueur ». Elle veut s’encanailler, mais comble du malheur, il en tombe amoureux. Mais non d’un amour purement sensuel, d’un amour spirituel, tel qu’on peut le retrouver dans les écrits médiévaux occidentaux (Tristan et Iseult), dans les écrits de Shakespeare (Roméo et Juliette). Ce sera son crime.
Ce sauvage, pardonne moi cette considération méta-romanesque, c’est Huxley lui-même qui se rend compte des limites qu’il a produit dans sa création littéraire. Huxley dans son roman comme s’il était dans le labyrinthe qu’il a produit, à tâter des murs sans lumière, et à reconnaître, lui-même, qu’il n’a pas la profondeur de Shakespeare. Il a déployé le maximum du genre et il n’est pas à la hauteur de Kafka, son monde de représentations n’est pas à la hauteur de celui de Balzac. Il est vrai que Bradbury a, dans les « Chroniques Martiennes » inscrit la littérature d’anticipation au patrimoine poétique, comme le souligne un très bon article de Jorge Luis Borges, l’Indépassable. Mais j’ai été attristé de Bradbury, dans une de ses nouvelles, essayant d’atteindre la grandeur de Melville et faisant appel au mythe de la Baleine (du Léviathan, le mythe de Job). J’avais l’impression d’être devant un petit écolier faisant sa dictée, trois fautes par mot, avec tout le respect, le plus grand, que j’ai pour lui.
Pour en revenir à « Ravage », débarrassé de toute ces considérations artistiques, aurait aujourd’hui le mérite de procurer de nombreuses sueurs froides à nos contemporains. Sa société finale, débarrassé, par un mouvement apocalyptique, de ses représentants médiatiques et politiques (le personnage de Jérome Seita, dans le roman), est une société revenue à un état patriarcal et technophobe. En cela il est profondément subversif et je ne pense pas qu’il puisse être « éditable » ou « primé » aujourd’hui. On pourrait même actualiser son propos final : à la fin de Ravage, un homme, Denis, s’avance vers François, le héros principal, en lui proposant le nouvel I phone X et François lui met une baffe fondamentale, comme pour lui dire que « ton progrès ne fait plus ici loi ».