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(Carte blanche) à Alain Lance : 'Notre rapport à la langue"


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Posté 16 octobre 2017 - 03:34

 

Alain Lance a bien voulu communiquer à Poezibao le texte dâune conférence* quâil a donnée tout récemment en Allemagne.

Notre rapport à la langue : Cultures linguistiques en France et en Allemagne
par Alain Lance

6a00d8345238fe69e201b7c92a906c970b-50wiEn 1989, quand la France fut pour la première fois lâinvitée de la Foire du livre, lâinstitut français que je dirigeais alors fut à lâinitiative de plusieurs manifestations. Je garde un excellent souvenir de notre collaboration avec Peter Weidhaas, qui dirigeait la Foire du livre. Et je pus être efficacement secondé par Micheline Bouchez et par un jeune agrégé, historien que vous connaissez : il sâagit de Pierre Monnet, que je remercie encore pour le travail quâil effectua et félicite pour son beau parcours intellectuel et professionnel.

Le premier mot allemand entendu dans mon enfance ? Au risque de faire ressurgir un déplorable cliché, je dirais Achtung ! Avec un point dâexclamation. Peut-être sorti de la bouche dâun soldat occupant Paris au début des années quarante, ou repris en écho par ma mère.
Prisonnier de guerre au stalag XII D près de Trèves, mon père avait noué durant sa captivité des relations cordiales avec un soldat du camp, Hermann, un brave homme, cultivateur souabe, et commencé à apprendre lâallemand avec une méthode Assimil.

Lorsque jâai commencé des études secondaires, mon père avait décidé que jâapprendrais dâabord lâallemand. Parce que, me disait cet autodidacte qui avait dû commencer à travailler à treize ans, câest une langue de grande culture. Cela me permit par ailleurs de répondre en son nom, chaque Noël, à la carte de vÅux envoyée par Hermann. Mon père, même quand il parlait des « chleuhs », se gardait dâimputer à lâensemble du peuple allemand la responsabilité des crimes nazis.
Jâeus de bons professeurs. Dans ces années cinquante, on commençait assez tôt à lire des textes littéraires. Mais lors de mon premier séjour en Allemagne, à seize ans, à Tübingen, si je connaissais par cÅur « Die Kapelle », « Heidenröslein » ou « Die Lorelei », jâavais parfois du mal à demander mon chemin à un passant. Un enseignant joua un rôle décisif dans mon éveil à la culture allemande : lâécrivain alsacien Alfred Kern, prix Renaudot 1960, dont le roman Le Clown parut en 1962 en traduction allemande chez Rowohlt.

Chaque été je passais un mois en Allemagne fédérale, chez des correspondants, ou sillonnant le pays en auto-stop et fréquentant les auberges de jeunesse. Commençant des études de langue et littérature allemande à la Sorbonne et politisé par le refus de la guerre dâAlgérie, jâeus envie, à lâautomne 1962, de découvrir « lâautre Allemagne » et passai deux semestres à Leipzig, fréquentant les cours de la Karl-Marx-Universität, et notamment ceux de Hans Mayer, quelques mois avant son départ pour Tübingen. Comme notre petit groupe français avait notamment Hyperion de Hölderlin au programme de la licence, un jeune enseignant, Günter Mieth, anima pour nous un séminaire sur ce poète. Câest lui qui édita plus tard les Åuvres de Hölderlin en quatre volumes.
Ce séjour me fit découvrir la Deutsche Demokratische Republik et⦠lâaccent saxon. Et jamais je nâallai si souvent au concert : à lâopéra, au Gewandhaus ou dans la Thomaskirche.
        
Lâécrivain allemand qui comptait surtout pour moi, câétait Brecht, depuis que jâavais assisté, à Paris en 1960, à une représentation de Arturo Ui par le Berliner Ensemble.
Au printemps 1964, je découvris la nouvelle génération de poètes révélée par Stephan Hermlin lors dâune mémorable lecture à lâAcadémie des arts de Berlin-Est, en décembre 62. Je lus dans Sinn und Form des poèmes de Volker Braun et, quelques mois plus tard, je frappai à sa porte à Leipzig pour lui dire mon envie de les traduire. Je ne mesurais pas les difficultés de la tâche. Mais je pus heureusement entreprendre ce travail lors dâun séjour à Berlin-Est, de novembre 1968 à lâété 1969, ce qui, après deux ans passés en Iran, me replongeait dans la langue allemande, cette fois teintée de lâhumour parfois peu amène des Berlinois. Je rencontrai régulièrement Volker pour le questionner, éviter des contre-sens ou découvrir des intertextualités qui mâeussent sinon échappé. En 1970 paraissait donc son premier recueil de poèmes en français, Provocations pour moi et dâautres.

Ce furent des années où lâallemand que jâaimais écouter était souvent chanté : par exemple Gisela May, dans Schweyk :

Nimms von den Pflaumen im Herbste/ Wo reif zum Pflücken sind/ Und haben Furcht vorm mächtâgen Sturm/ und Lust aufân kleinen Wind â¦

Lorsque, revenu à Paris, jâai enseigné lâallemand dans un lycée, cette langue gardait encore une place importante, et je me souviens de lâintérêt manifesté par mes élèves de première (allemand première langue !) quand nous avons étudié ensemble Herr Biedermann und die Brandstifter de Max Frisch ou le film Wir Wunderkinder, avec les savoureuses interventions chantées par Wolfgang Neuss.

Câest lâépoque où jâai rencontré Renate, étudiante de Marburg, venue poursuivre ses études à Paris. Deux ans plus tard, Alfred Kern et Volker Braun furent nos témoins de mariage. Dâabord germaniste, Renate travailla au CNRS sur les manuscrits de Heine avant dâinventorier et de cataloguer les manuscrits et la correspondance dâAragon et de soutenir plus tard une thèse de génétique textuelle sur le poète qui écrivit Jâaimais déjà les étrangères quand jâétais un petit enfantâ¦

Sauf lorsque nous étions en Allemagne, chez ses parents ou chez nos amis, Renate et moi parlions ensemble français. Les premières traductions que jâai publiées (les poèmes de Volker Braun, ou Das Judenauto de Franz Fühmann), je les ai faites seul. Mais une coopération prit naissance quand, alors que je venais dâachever la traduction de Kein Ort. Nirgends, de Christa Wolf, Renate me proposa une relecture commune. Ses remarques pertinentes me permirent de parfaire la version française. Ce fut le début dâune fructueuse écriture de traduction à quatre mains.
Notre fille, Amélia, qui a grandi et fut scolarisée dans les deux pays, me confiait récemment quâelle trouvait la langue allemande plus belle, peut-être à cause des berceuses que lui chantait Renate lorsquâelle était petite.

Lâallemand, dans son oralité comme dans les Åuvres littéraires, demeure pour moi un étranger familier. Chez le poète que je traduis, je vais puiser ce qui me ressemble, tout autant que ce qui me déconcerte. Certaines particularités de ma poésie doivent sans doute quelque chose, par de complexes interactions, à la fréquentation des poètes étrangers, notamment allemands.
Dans notre revue action poétique la poésie allemande a toujours eu une place de choix et je veux saluer ici la mémoire du poète Maurice Regnaut, traducteur de Brecht, Rilke et Enzensberger.

Le recul de lâenseignement de lâallemand en France est préoccupant. Constat amèrement formulé dans un article de la Frankfurter Allgemeine Zeitung du 12 juillet dernier intitulé : âžDie Germanistik ist in Frankreich auf dem Weg zum Orchideenfach!âEt jâenrage dâentendre, même à France-Culture,  parler de Piter Handke ou de Oualter Benjamin !

Ce nâest peut-être pas la « Liebeserklärung » que vous attendiez. Mais puisque Erklärung signifie aussi bien âdéclarationâ quââexplicationâ (comme dans KriegsErklärung, titre dâun ensemble de brefs poèmes de Volker Braun avec des photos de la guerre états-unienne au Vietnam), disons que jâai tenté dâexpliquer les origines de (jâhésite à employer le mot amour, aussi imposant quâun fleuve sibérien !) mon attirance, mon amitié, mon affection durables pour la langue allemande et sa littérature.

Alain Lance

Photo Alain Lance et son épouse Renate Lance-Otterbein.

*Conférence organisée par la Fondation Polytechnique à Francfort, le Commissariat général « Francfort en français » et l'Institut Franco-Allemand de Sciences Historiques et Sociales (IFRA/ SHS) en collaboration avec le Börsenverein des Deutschen Buchhandels et dans le cadre de « Francfort en français

On peut lire le texte de cette conférence en allemand

 

 

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