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(Note de lecture) Tristan Felix, "Aphonismes", par Murielle Compère-Demarcy


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Posté 18 octobre 2017 - 09:37

 

6a00d8345238fe69e201b8d2b59a5b970c-50wiQuel(s) son(s) produit donc l'aphonisme pour commettre ainsi par la voix de son auteure-artiste polyphrène et polymorphe, Tristan Felix, ces 96 textes (& 96 dessins) dans l'opuscule écarlate Aphonismes (couverture rouge, lettres d'écriture et dessins noirs), publié par les éditions artisanales Venus d'Ailleurs ?

                                    « L'aphorisme, velu comme un turc,
                                                     pérore à la tribune

                                    l'aphonisme branle du chef
                                    au bras d'un faune eunuque
                                                           il chante
»,

annonce la quatrième de couverture.
Serait-ce que là où lâaphorisme pense et parfois palabre, lâaphonisme pourrait, lui, avancer en équilibre fragile sur son fil, telle pensée de funambule, et rêver et chanter un monde à crier, faire basculer, bousculer, à contenir dans un cri de poésie, juste, jubilatoire ? Ces 96 textes & dessins nous en fournissent la réalité évidente, mieux que nâimporte quelle sentence. Le balancier de la poésie, dâune efficacité terriblement plus formidable pour une traversée éclairée du réel que celui dâune pensée souvent appesantie par des résidus de préjugés, de considérations scrupuleuses, dâaffabulations consenties⦠nous guide dans ces Aphonismes et nous fait avancer, « à tâtons dans la cendre », « au-dessus du charnier », pour mieux approcher lâincandescence mythique du réel qui, à telle latitude, « reste sans voix »

                        « la pensée du monde rend aphone

                        tant mieux
                        plus personne nâentend le monde
 »

 chante lâaphonisme de la page 80.
Si l'aphorisme consiste dans une formule ou prescription concise résumant une théorie, une série d'observations, ou renfermant un précepte, l'aphonisme s'écrit en marge des aires communes, secouant le sens commun, déjouant le regard ordinaire, refaisant ses propres tours d'esprit, à l'écart des traits ordinairement marqués pour évoquer / esquisser telles ou telles traces inédites de nos réalités. Cet Ailleurs et cette traversée autre de nos flambées dâexistence, lâartiste-poète en annonce dâemblée le topos :

                                    « Jâhabite derrière chez moi »

Lâhabitat de nos carcasses sâen trouve secoué sens dessus dessous, notre identité se refait peau neuve dans lâébranlement des évidences, les coups de crayons gomment les contours convenus. La Langue dilue les limites du réel, les redessine, en agite les leurres comme dans une boule de miroirs happant les reflets de nos illusions pour en faire ressortir des métamorphoses organiques accomplies sur la brèche de nos extrêmes :

                                    « La preuve que je nâexiste pas câest que moi non plus
                                    Car flotte dans le regard de lâautre
                                    Ce halo qui me fait songe
 »

Le Langage se refait une langue neuve qui râpe, pèle les fioritures, reformule en abrasions et résolutions dâeffervescences les surplus oiseux, les croûtes, crève les baudruches dâune Langue qui sait faire lâautruche pour signifier des vides à fabuler ; le Langage reprend voix pour danser, nu, sur la peau des mots, funambule clown trash-tendre, « sous lâÅil ingénu / dâun ange écorché »

                                    « Le clown fracasse les serments
                                    sa seule parole est en démolition

                                    il ne manquerait plus quâon oublie
                                    quâil se meurt de rire
 »

Si lâaphorisme flirte avec le sens de la formule, résumant un point de science, de morale et si, en son acception péjorative il peut renvoyer à une sentence prétentieuse et banale, lâaphonisme sâappuie, lui, bancal (air penché qui fait sa forceâ¦), sur son manque de voix, pour exprimer /expulser à la marge, sur la piste de la page, un chant transgressif, figuratif, fracassant, extatique. Une sémantique et un visuel poétiques de notre réalité, ici surtout dévoilée par son côté fantaisiste, prennent formes et feu de tout mot sur chacune des pages, et l'Espace du dedans - l'Espace du dehors se fondent, nous tourneboulons nous renversons, tête bêche, pieds en haut, corps chamboulés à glisser sur des toboggans du ciel aux vertiges (l)ivresques, saltimbanques-danseurs faunesques et polymorphes, tenus cependant, comme le fil maintient les marionnettes, par la lanterne clairvoyante d'une voix qui nous guide, nous transporte dans l'Imaginaire Permanent de ses délyres enchanteurs, dans lâImaginaire sous-jacent de nos vérités secrètes. Tristan Felix poursuit son exploration des extrémités du vivant en touchant de ses traits de dessin et dans la concision des mots le tour farcesque, rocambolesque, ubuesque de nos Sorts d'existences tout en sortilèges, îlots dâêtres écrits en tremblements de signes toujours prêts de sâouvrir -pour continuer de brûler et sâévacuer du sens commun et de lâhabitude- à de nouveaux territoires en attente de reconnaissance comme celui, inquiétant mais excitant, de ces Aphonismes. Il suffit pour cela de tenter au mieux -de toutes nos forces données et/ou consenties-de jouer, de jouir, de nous alléger, de nous dérober, par la patience des pattes de lâaraignée qui nous tisse la soie du ciel au plafond de nos rêves,- nous dérober par la porte du rire, de la grimace et du rêve, quitte à retourner les pierresâ¦

                                    « À retourner les pierres
                                    on entend le hibou
                                    et le tohubohu
                                    des crapauds de la mer

                                    lâoubli de la laideur était inespéré
 »

Il suffit, de nous prendre au Grand Jeu du monde en le déjouant par : la volte-face humoristique,

                                    « Avis aux voyageurs

                                    zoo, réserves, musées
                                    plaquettes, conserves, fichiers
                                    paillettes, pipettes, pixels
                                    un compact world
                                    au format puce

                                    la terre à lâéchelle du micron
                                    pardon, de lâétron
 »

le rebond, la pirouetteâ¦
                       
                                    « Tâes pas crevé si tu rêves
                                      
                                    alors crève pas
 »        

        
Murielle Compère-Demarcy

 

6a00d8345238fe69e201bb09ce53d2970d-50wiTristan Felix, Aphonismes, éditions Venus d'Ailleurs ; 2017, 96 p., 10 â¬

Dessin, Biribi par Tristan Felix, à retrouver dans un bel article de Maurice Mourier dans la revue En attendant Nadeau.

 

 

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