J’éprouve une réelle fascination pour un alexandrin de Baudelaire : « les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs » (« Les Fleurs du Mal », C) . D’abord , pour une raison évidente que le sens commun nous enseigne : les morts n’éprouvent plus rien, ni douleurs, ni leurs contraires, les plaisirs. Or, c’est la « liberté grande », le vrai défi du poète d’oser dire cela, écrire cela : la poésie dit le monde, recrée le monde tel que le la poète le voit, le recrée.
Mais je crois que ma fascination a des raisons plus profondes, qui sont en relation avec ma vision de la mort ou, plus exactement, avec mon refus de la mort. C’est la grande force de la religion catholique, dans sa promesse de la Résurrection, d’avoir compris qu’au fond de chacun d’entre nous quelque chose nous empêche d’accepter complètement cette disparition brutale, absolue, atroce, des êtres qui nous sont chers.
Dans le cours du poème dont cet alexandrin est extrait, Baudelaire redonne vie à ceux qui ne sont plus, dont il dit qu’ils sont « dévorés de noires songeries » et qu’ils « sentent s’égoutter les neiges de l’hiver ».
Il envisage l’hypothèse qu’une défunte, la « servante au grand cœur » , à qui ce poème est dédié, réapparaisse auprès de lui, pour témoigner de toute la bienveillance qui fut la sienne à son égard, dans son enfance : « si le soir, /
Calme, dans le fauteuil je la voyais s’asseoir ».
Il s’interroge, alors, sur la façon dont il la consolerait de son chagrin : « Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,
Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ? ».
Tout, dans le texte de Baudelaire, crie le refus de l’absolu de la mort : la « servante au grand cœur » « dort son sommeil ». Et, avec lui, lisant ce texte, nous nous prenons à rêver que se réveillent, enfin, tout comme « la servante », ceux qui nous ont quittés.
4/11/17
