Les souvenirs affleurent à la mémoire. J’ai dix ans. Mon frère et moi, nous marchons le long d’une rue, quand apparaît la voiture de mon père : il tient le volant, mais semble dormir au volant. Nous suivons du regard, angoissés, la trajectoire de cette voiture qui finit par s’arrêter le long d’un trottoir, avec un pneu crevé. Nous courons jusqu’à lui, nous découvrons qu’il est ivre au volant et semble incapable de changer la roue. Un villageois apparaît, qui connaît mon père, qui est l’épicier du village. Il change la roue , mon père nous ordonne de monter dans sa voiture, ce que nous faisons avec effroi. La chance intervint : il nous mena jusqu’à notre domicile sans encombre.
Mon père était sollicité par les villageois, la nuit, pour emmener leurs femmes, sur le point d’accoucher, à la Maternité. Ils lançaient des cailloux contre les volets. Mon père se levait volontiers, revenait au petit matin et fêtait avec le client la naissance de l’enfant, au comptoir du café qui était jumelé à l’épicerie.
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Je me revois, aussi, à l’épicerie, un jour que, blotti dans l’immense comptoir, comme Jonas dans le ventre de la baleine, j’empilais les kilos de sucre, sans faire de bruit, tout en écoutant les conversations intimes des clientes de l’épicerie, avec ma mère , qui savait les faire parler… Ma fascination pour les femmes n’a pas cessé, depuis.
Ma mère ne craignait rien ni personne à l’épicerie, elle avait réponse à tout. Un jour, un inspecteur venu contrôler les prix et leur affichage , fit remarquer à ma mère , qu’il manquait la pancarte « œufs frais » sur les œufs. Ma mère lui répondit devant tous les clients (l’épicerie était souvent comble) : « pourquoi ? c’est pour les gober tout de suite ? »
Une autre souvenir me revient, de la même époque. Ma mère avait décidé d’aller consulter un médecin en Allemagne pour un problème d’allergie. (Elle avait pourtant été déportée par les Allemands : faisait-elle à ce point confiance à ces médecins ? ). Je l’accompagnai. C’était un train à vapeur, dont la fumée vous noircissait le visage si on se penchait par la fenêtre du compartiment. Du séjour en Allemagne je ne garde que cet instantané : comme le soir tombait et que les hôtels étaient complets ou trop chers, ma mère avait réussi à nous faire héberger ... au commissariat !
19/11/17
