C’est un très petit couteau de cuisine, dont s’est longtemps servi ma mère. La lame est tordue, à la pointe : s’en est-elle servi comme d’un tournevis ? Le manche, où s’insère la lame, est en bois, blanchi par les lavages, traversé de deux vis d’un métal jaune . Sur la lame, on peut lire : « Couteaux Pernot Nogent/ inox molybdène/ 52 France ». Elle devait se servir de ce couteau pour couper la ciboulette et le persil et surtout l’estragon, le fenouil aneth, pour lesquels elle avait une prédilection.
Je pouvais sonner à sa porte à toute heure du jour : elle m’accueillait toujours avec un grand sourire, disant « ah ! Conrad ! Pourquoi tu ne m’as pas prévenu ? ». C’est si rare, une maison où l’on est accueilli sans contraintes. Sa seconde question était, ensuite : « t’as mangé ? ». Le plus souvent, sans vraiment attendre ma réponse, elle improvisait, en un éclair, un repas : des concombres, des tomates en tranches, des œufs...
C’est parce que j’étais sûr l’hospitalité de ma mère qu’’au sortir d’une émission de télévision régionale, je me présentai, chez elle, sans l’avoir prévenue, à trois heures de l’après-midi, accompagné d’un proviseur d’un établissement scolaire africain, avec lequel l’établissement dont j’étais le proviseur avait établi un jumelage. Aussitôt, nous nous trouvâmes assis dans la cuisine et ma mère, en un éclair, prépara un repas.
Nous mangeâmes de bon appétit. Ma mère questionna mon collègue africain : dans quel type de maison vivait-il ? Était -il marié ? Avait-il des enfants ? A cette dernière question mon collègue répondit : « oui, douze ». A ce moment précis, ma mère lui donna une claque formidable dans le dos, en riant, en disant : « phénomène ! ».
Quand nous sortîmes de la maison de ma mère , et que nous nous retrouvâmes seuls, mon collègue me dit : « chez ta mère, c’est comme en Afrique ! ».
23/11/17
