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(Note de lecture) Vénus Khoury-Ghata, "Les Mots étaient des loups", par Michaël Bishop


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Posté 09 janvier 2018 - 10:23

 

6a00d8345238fe69e201bb09e6f319970d-75wiRassemblant un choix de poèmes parus dans les recueils publiés entre 2004 et 2015 au Mercure de France, Les Mots étaient des loups, titre sâinspirant dâun poème de Compassion des pierres, nous replonge dans cet univers brumeux, sans frontières, ambigu, difficilement articulable, où pourtant on reconnaît tout de suite la voix à la fois troublante et robuste de cette grande poète quâest aujourdâhui Vénus Khoury-Ghata. Obliquement confessionnelle, obsessionnelle, la dimension autobiopoïétique de son Åuvre lâemporte pourtant sur toute tentation de se contenter dâune narrativité flagrante, la tâche ontologique que Khoury-Ghata sâassigne étant beaucoup plus viscérale, richement psychique, frôlant le métaphysique car fatalement centrée sur lâexpérience de lâêtre, de notre présence au monde. Ce qui énergise cette tâche où traumatisme et guérison ne cessent de lutter par le biais dâune dramaturgie qui en excède les signes, câest une cascadante versification qui ne trouve sa fin, à jamais insatisfaite, pantelante, colloïdale, quâavec la clôture du recueil. Pierre Brunel parle dâune « traversée des âmes "en souffrance" », celle de la mère, celle du père, celle du frère et celle de bien dâautres, mais il sâagit sans doute surtout dâune traversée des fourmillantes émotions de la vie mentale de celle qui écrit, de sa propre psyché, miroir déformant, reformant, par moments quasi délirant dâun vécu foisonnant de rêves, de visions, de voix et dâune tumultueuse nécessité dâécrire.

On ne sâétonne pas de voir que le titre du recueil témoigne de ce quelque chose de sauvage, dâinapprivoisé, de presque fou, qui rôde partout dans la parole de chacun/e, comme dans lâécrit, dans ce mouvement furtif de lâesprit qui cherche, chasse, impulsif, impétueux, et pourtant orienté, lâénergie de tout le corps, de tout le cÅur, braquée sur une proie ontique incessamment flairée, traquée, même si insaisissable, inaccessible. Car si le poème de Vénus Khoury-Ghata échappe à toute logique stablement déployée, reste quâil nâest nullement le site dâune indiscipline. Domine un immense désir, passionné, infatigable, de défoulement, de compassion, de vérité, de conciliation personnelle et spirituelle au sens large du terme face aux violences du monde et à lâarbitraire apparent de la mort. La vision de lâêtre qui émerge de cette Åuvre qui hésite entre lâélégiaque, le tragique même, et lâexcentrique, lâextravagant, évite toute tendance moralisatrice, sâancrant plutôt dans un sentiment de lâétrangeté, de la paradoxalité de lâhumain, dans une sorte de caressante et empathique combativité que Khoury-Ghata peut nommer « supplique », invocation dâune grâce, réclamation dâune intervention censée simultanément improbable et pourtant imaginable car exprimée, face aux folies, aux dystopies, aux simples défaillances et insuffisances qui abondent dans un monde, une terre, qui, pourtant, en principe, a tout pour nous combler matériellement, psychologiquement, spirituellement. Poésie de lâintime et de ce qui transcende la vie de lâindividu, poésie cérémonielle, rituelle, et pourtant instinctivement tellurique, plongée dans un fort mais subtil et inquiet désir sociopolitique, celle de Vénus Khoury-Ghata atteint à une articulation des plus délicatement potentielles des forces qui ne cessent â multiples, irréductibles à toute tentative de les mathématiser â de traverser sa conscience et de former sa vision.

Michaël Bishop

Vénus Khoury-Ghata, Les Mots étaient des loups. Préface de Pierre Brunel. Gallimard, Collection Poésie/Gallimard, 2016, 288 p., 7,80â¬.

 

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