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(Note de lecture) Lambert Schlechter : "Monsieur Pinget saisit le râteau et traverse le potager", par Mathieu Jung


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Posté 10 janvier 2018 - 11:39

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<p class="blockquote MsoNormal" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;"> <a class="asset-img-link" href="http://poezibao.type...3f254970b-popup" onclick="window.open( this.href, '_blank', 'width=640,height=480,scrollbars=no,resizable=no,toolbar=no,directories=no,location=no,menubar=no,status=no,left=0,top=0' ); return false" style="float: left;"><img alt="Lambert-schlechter-monsieur-pinget-saisit-le-rateau-et-traverse-le-potager" class="asset asset-image at-xid-6a00d8345238fe69e201b7c943f254970b img-responsive" src="http://poezibao.typepad.com/.a/6a00d8345238fe69e201b7c943f254970b-75wi" style="width: 75px; margin: 0px 5px 5px 0px;" title="Lambert-schlechter-monsieur-pinget-saisit-le-rateau-et-traverse-le-potager" /></a>Admettons-le, Lambert Schlechter est un auteur quâon ne présente plus. Jâaimerais risquer un pari. Un pari à vrai dire facile. Les lecteurs un peu lettrés appartiennent à deux espèces : ceux qui ont lu Lambert et ceux qui le liront dans un avenir plus proche que lointain. <br /> <em>Le Murmure du monde</em>, soit six volumes parus à ce jour, depuis 2006 (1). LâÅuvre nâa de cesse de foisonner, selon une sorte dâostinato, sans que jamais la machine ne sâemballe. Voici donc une prose forte et sereine, qui va de lâavant <em>et qui cherche</em>.<br /> Lambert met le temps en conserve. Il rouvre des carnets anciens, redécouvre, arrange, agence, met ensemble. Écrit, en un mot. « Wittgenstein a remarqué un jour que la plupart de nos connaissances, nous les obtenons, non pas en amassant de nouvelles informations, mais en réarrangeant des choses déjà connues (<em>bereits bekannte Dinge umarrangieren</em>) » (<em>La Trame des jours</em>, p. 225). Les volumes du <em>Murmure du monde</em> relèvent de ce type de montage, par réarrangements successifs et sédimentation intime. Lambert laisse fermenter le temps et rouvre des carnets qui ont quoi ? quarante, cinquante ans. Ou bien il revient sur dâautres impressions, plus récentes, mais faites de la même matière toujours, dâune pâte semblable jamais la même. Car il sâagit, ni plus ni moins, dâ« écrire pour amadouer le chaos » (<em>Le</em> <em>Murmure du monde</em>, p. 50).<br /></span><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;">Lambert a découvert une forme où faire entrer le monde, et mieux que cela : une activité poétique, lâexercice dâécrire envisagé comme une éthique ou un art de vivre. Le modèle avoué est Montaigne : « Montaigne, en vingt ans dâécriture permanente, avait le temps et le loisir dâécrire plusieurs livres â et câest dâailleurs ce quâil a fait, sauf quâil les a tous mis, intercalés &amp; enchevêtrés, dans un seul. » (<em>Monsieur Pinget</em>, p. 53) La boussole sensualiste de Lambert fait aussi quâil maraude vers la Chine. Je pense par exemple à Tâao Châien (365-427), auteur, nous explique Lambert, dâune <em>Élégie pour moi-même</em>,  qui fait une apparition furtive dans ce sixième <em>Murmure du monde</em>.<br /> Mais il y a autre chose, un autre pôle magnétique, moins strictement saisissable, qui maintient le chaos dans lâunité de lâécrire quotidien. Lambert ne saurait être trop dupe, pour autant, des miroirs déformants de lâéternité :<br /><br /> </span><span style="line-height: 125%; font-family: 'Garamond', 'serif'; letter-spacing: 1pt;"><span style="font-size: 11pt;">« Câest une si bonne chose, écrire, câest presque rien, mais ce nâest pas rien. Jâen ai besoin. Câest vital. Comme tout un chacun, je suis banalement voué à la mort. Tout ce que jâai fait, tout ce que je suis, est voué à la disparition. Mais pas une disparition totale, sans traces. Câest une pensée doucement parano. Quelques pages. Quelques livres. Et quelques personnes à qui il arrivera de sây pencher. Dans vingt, dans quarante ans. Câest mon <em>aere perennius</em>, doucement pathétique. Et câest assez. Je ne suis pas une blatte. »(<em>Monsieur Pinget</em>, p. 65)</span></span><span style="line-height: 125%; font-family: 'Garamond', 'serif'; letter-spacing: 1pt;">.</span><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;"> <br /> </span></p>
<p class="blockquote MsoNormal" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"><span style="font-size: 12pt; line-height: 125%; font-family: 'Garamond','serif'; letter-spacing: 1pt;">Car si dans la vie tout passe et rien ne dure, ce tout et ce rien, cet être et ce néant justement sâamalgament au <em>Murmure du monde</em> â actualité, désir, souvenir, phantasmes, lectures, petites culottes, fumée de cigarette (mais Lambert vient dâarrêter de fumer), caresses, rêves et citations, chagrins, esquilles philosophiques, colère, rage, impuissance. Et la bonté. <br /> Il est de nombreuses manières de tenir son journal. Celui de Lambert tire et divague en tous sens. « Corollaire à dâinévitables bifurcations : permanentes interférences » (<em>Monsieur Pinget</em>, p. 49). Lâesprit de la miscellanée règne, qui englobe Facebook aussi bien que Li Fou.<br /> Lambert nous propose une sorte de joyeux <em>Zibaldone</em> (Leopardi est un compagnon de route). LâÅuvre vaste et en mouvement, où lâécrivain aime tant à se lover, nâest pas un journal au jour le jour, comme celui dâAlbert Strickler ou de Pierre Bergounioux, mais Lambert saisit tout aussi bien le quotidien.<br /> Lâordonnancement secret de ces fragments ne laisse pas de me fasciner. Cela tient, comme autoporté. Ou bien <em>Le Murmure du monde</em> nâest-il pas plutôt une construction abouchée à la vie ? Celle-ci sâécoule et sâagence selon des strates et une sédimentation toute personnelle. Joyce disait un jour que si son livre ne méritait pas dâêtre lu, alors la vie ne méritait pas dâêtre vécue. Il en va ainsi du <em>Murmure du monde</em>. La vie et lâécriture se conçoivent lâune lâautre sans solution de continuité. <br /> Peut-on parler ici dâautofiction ? Sans doute. Mais le roman-journal de Lambert se veut autre chose encore. Sans cesse, Lambert songe et pense au geste quâil est en train dâeffectuer. « Narratologie du biographème â Pour ce qui est de la mise en place, sur la page, du biographème, la seule manière qui convienne, après celle de Montaigne, câest celle de Quignard : abrupt &amp; brut. » (<em>Le Fracas des nuages</em>, p. 56). Récits de rêves et souvenirs, méditations sur lâactualité et sur le temps qui va (y compris lorsquâil va de travers) participent dâune tentative de rassemblement des morceaux de lâénigme. Souvent, ce sont des allusions à peine voilées à lâimmédiate actualité, à ces petits basculements dans lâinexorable qui font le tout-venant dâune horreur qui est résolument la nôtre : « Jâétais sûr que cela nâarrivera pas. Jâétais sûr que cela ne pouvait pas arriver. Il nâétait pas possible que cela arrive. Pas pensable. Pas imaginable. Et maintenant ? Il va fourrer sa grosse grasse patte sous la robe de la Liberté. » (<em>Monsieur Pinget</em>, p. 55).<br /> Appelons cela, des pensées. Encore que le terme de « pensée » soit rejeté par Lambert : « Mes pensées, presque toutes, ne sont quâamorce de pensée. Câest plus tard &amp; plus loin que je me mettrai pour de bon à penser. Je ne suis quâun pensateur. » (<em>Monsieur Pinget</em>, p. 34 ). Le poète pensateur est un grand prosateur, au point quâil considère, et non sans raison, composer une « élégie en prose » (<em>Monsieur Pinget</em>, p. 19). Elle est traversée par des éclairs de toutes sortes : épiphanies, illuminations glanés dans les livres des autres, dans tous les livres du monde, aussi bien quâà même les choses. De belles pages, par exemple, sont consacrées aux fleurs : « Diagramme de vie : le saintpaulia, dicotylédone gamopétale, sur ma table de travail. Avait fleuri début mai, puis de nouveau fin juillet ; vient de refleurir fin octobre. Sous mes yeux jour après jour. Il nây a pas dâautre éloge de la vie. » (<em>Monsieur Pinget</em>, p. 63). <br /> Syntaxe veut dire : mettre ensemble. La syntaxe de Lambert, sa grammaire intime ou sa petite musique, garantit la justesse de son écriture : un phrasé affectif qui évolue par des chemins buissonniers, par les traverses du souvenir et du désir.<br /> « Un jour jâécrirai sur la bite un opuscule apocryphe que je ferai signer par Quevedo. » (<em>Le Ressac du temps</em>, p. 188). Lâérotisme tient une part importante dans cet art dâaccommoder les rêves, puisquâil lâélectrise vigoureusement, quitte à ce que Lambert verse dans ce quâil nomme son « narci<em>zizi</em>sme » (<em>La Trame des jours</em>, p. 56). La femme nâen fait pas moins de belles apparitions dans le <em>Murmure du monde</em>. La prose alors sâhallucine tandis quâun nouvel <em>Art dâaimer</em> sâesquisse, sur une trame nostalgique. <br /> <br /> « Je ne sais ce quâelle devient, je ne sais pas sur quel continent elle habite, elle a voulu sâéloigner, le plus loin possible, elle a voulu en finir avec ça, je me souviens que pendant quelques brèves années, cinquante fois par jour, dans ma maison, je disais : elle est mon amour, tu es mon amour, je me souviens que pendant quelques années, je nâai pas connu un seul moment de tristesse ⦠parfois je pense que les belles jouissances que jâai pu lui procurer, câest son corps qui sâen souvient mais pas son cÅur, elle avait dit un jour : câétait un épisode, considère cela comme un épisode fini, passe à autre chose, elle est passée à autre chose, je ne sais pas à quoi elle est passée, je ne saurai jamais à quoi elle est passée, elle habite dans un autre continent, je suis passé dans sa vie, je nâexiste plus, je pense à elle jour &amp; nuit, et le plus dur câest de penser quâelle nây pense plus, bon débarras, elle disait : je nâai jamais autant joui ⦠» (<em>Monsieur Pinget</em>, p. 22 ). <br /> <br /> Lambert essaie de réinventer lâamour. Lâentreprise est touchante, surtout lorsque le poète tente de saisir le mystère à travers ses lectures tous azimuts : « Et la question va rester en suspens : lâhomme, résiste-t-il à la femme nue⦠? Faudrait relire Julius Evola : <em>La Métaphysique du sexe</em>. En tout cas continuer dans Groddeck. Pas Lacan, il fait chier. » (<em>Monsieur Pinget</em>, p. 58).  <br /> En 2015, un incendie a brûlé la bibliothèque et les archives de Lambert. Ce feu est devenu un autre agent du manque, de la mélancolie sans remède : « Mon journal, milliers de milliers de pages, plus de cent épais cahiers et plusieurs centaines de carnets, détruits à jamais par le Feu. Toutes les élucubrations de ma souffreteuse mélancolique adolescence, qui se prolongea jusquâà mon mariage. Thème lancinant : absence de la femme, en mille &amp; une variations, pendant dix ans. Je ne me suis jamais remis de ce manque-là et toute ma vie nâa pas suffi à le compenser. »  (<em>Monsieur Pinget</em>, p. 29)<br /><em>Le Murmure du monde</em> est une forme toujours réjouissante, sans cesse se ressourçant aux sources dâelle-même, et qui sâouvre. Générosité de Lambert. Câest une ouverture éperdue. Elle me rend plus fort. Là même où les fragilités induites par cette parodie qui nous tient lieu de monde en appelleraient, sans ces mannes de mots précisément â phrases qui touchent et qui portent â, à un affaissement pur et simple, au désespoir quant à la chose littéraire. Dâoù mon pari de tout à lâheure. Dussé-je le perdre, ce serait vraiment à désespérer de tout.<br /> <br /> <strong>Mathieu Jung<br /> </strong><br /> Lambert Schlechter : <em>Monsieur Pinget saisit le râteau et traverse le potager</em>. <em>Le Murmure du monde, 6</em> Éditions Phi, 2017, 19⬠ <br /> <br /> <br /> <em>Le Murmure du monde</em>, Bordeaux, Le Castor Astral, coll. « Escales des lettres », 2006 ; <em>La Trame des jours. Le murmure du monde 2</em>, Bordeaux, Les Vanneaux, 2010 ; <em>Le Fracas des nuages</em>, Bègles (France), Le Castor Astral, coll. « Curiosa &amp; cætera », 2013 ; <em>Inévitables bifurcations</em>, Le Mans, Les doigts dans la prose, 2016 ; <em>Le Ressac du temps, </em>Bordeaux, Les Vanneaux, 2016 ; <em>Monsieur Pinget saisit le râteau et traverse le potager</em>, Esch-sur-Alzette (Luxembourg), Éditions Phi, 2017.<strong> <br /> </strong><br /> <em>Poezibao</em> publie ce même jour <a href="http://poezibao.type...-par-jean-.html" rel="noopener noreferrer" target="_blank">une autre note de lecture</a> de ce livre, signée Jean-Pascal Dubost. </span></p>
<p class="blockquote MsoNormal" style="line-height: 125%; margin-left: 40px; margin-right: 40px; text-align: justify;"> </p><img src="http://feeds.feedbur.../~4/XNk_RgMDUVc" height="1" width="1" alt=""/>

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