« Entre toutes les différentes expressions qui peuvent rendre une seule de nos pensées, il n’y en a qu’une qui soit la bonne. On ne la rencontre pas toujours en parlant ou en écrivant : il est vrai néanmoins qu’elle existe, que tout ce qui ne l’est point est faible, et ne satisfait point un homme d’esprit qui veut se faire entendre. » (La Bruyère, « Les Caractères », 1688).
Nous pourrions élargir cette phrase à l’ensemble des arts : autrement dit, toute forme d’art doit atteindre un « point de nécessité », en deçà et au-delà duquel nul ne peut être satisfait de sa création : le balancier du funambule doit atteindre l’horizontalité absolue, pour qu’il puisse avancer. Dans un poème, le mot le plus infime peut faire tout basculer, de la même façon que Lorenz prétendit, en 1973, que « le battement des ailes d’un papillon au Brésil pouvait provoquer un ouragan au Texas. »
Un coup de crayon pour un dessin, un accord musical, un mot placé en un endroit précis de la phrase permettent d’atteindre ou de s’éloigner du « point de nécessité ». Le nombre d’or, qui existe en architecture , est à retrouver, chaque jour, dans toutes les formes d’art. La nature nous donne l’exemple d’une perfection inégalée : quoi de plus merveilleux que la structure, infiniment variée, des cristaux de neige ? La structure des minéraux, le miracle du vivant, faune et flore, figurent cette même recherche de perfection.
Dans cette époque où grandit la perspective de robotisation du monde, où les voitures seront bientôt autonomes, la quête de ce Graal, la Beauté, ne pourra, heureusement, jamais être le fait d’aucun algorithme : il faut que pèse sur nos épaules toute l’incertitude de notre destin pour écrire un poème.
16/1/18
