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(Note de lecture) Jean-Christophe Bailly, "Un arbre en mai", par Alain Paire


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Posté 17 janvier 2018 - 10:15

 

6a00d8345238fe69e201b8d2d06f4e970c-75wi72 pages, la dimension d'un carnet d'écrivain, un livre qui s'interrompt brusquement. Comme il fut écrit dans Basse continue : « Il s'agit de faire lever / une parole sans hauteur ». Des feux lointains qui se rapprochent soudainement, la remontée des souvenirs, légèreté et ténacité : des tourbillons, du silence, des informations et des digressions, de la fermeté et du lâcher prise. Cette évocation de mai 68 et de ses alentours relève du versant « autobiographique » du travail de Jean-Christophe Bailly (dans cet article, on lâappellera JCB) : ce sont des Tuiles détachées qui auraient pu figurer dans le recueil du même nom, édité en 2004 au Mercure de France. Câest également une décision prise en concertation avec Bernard Comment, directeur au Seuil de la collection Fiction & Cie : pendant les premiers jours de 2018, avant que ne survienne une inévitable avalanche dâouvrages à propos des « événements », faire circuler sans socle ni prétention un récit aussi précis que possible.

Plusieurs entrées, de nombreux embranchements et simultanément de salubres ouvertures de champ marquent cet Arbre de Mai : « rien n'était plus simple. Nous avons planté un arbre de la liberté ». Ce fut une secousse, l'impatience de la jeunesse, un enchaînement de circonstances, une onde de choc et des retentissements que rien ne laissait prévoir. Ensuite, ce fut « la tristesse de la retombée », une longue période de recomposition. Au total, Mai  68 est « violemment candide ». Son dénouement, indique JCB, peut rappeler un vers dâApollinaire : « Vous êtes si jolies mais la barque sâéloigne ». Sur la scène de lâhistoire, ce fut lâentrée inattendue dâun « nous », ce pronominal pluriel sur lequel d'autres écrivains ou chercheurs ont réfléchi collectivement, pendant plusieurs étés du Banquet de Lagrasse ainsi que dans un récent numéro de Critique : « nous eûmes lâimpression de basculer dans un autre temps, appelé lui aussi à se perdre, mais plus lentement et selon dâautres rythmes et dâautres textures. Sur la barque qui sâest éloignée, on est seul désormais ».

Si JCB s'engagea avec une joyeuse détermination dans Mai 68, c'est dans la cohérence de plusieurs inscriptions antérieures, ou bien parce que l'époque y prédisposait . Dans son livre il évoque la bande-son, des odeurs et des objets qui lui étaient familiers, « une forêt frémissante à la surface dâun pays engoncé » : le rock'n'roll, un séjour en Angleterre, la petite pioche de Jean Mineur Publicité, la 2CV, les salles de cinéma de la rue Champollion, Jean Maitron qui lui conseille la lecture de John Reed, Dix jours qui ébranlèrent le monde. JCB délaisse sa chambre d'adolescent, rejoint les Comités Viet-Nam, achète ses livres chez La Joie de lire ou bien au Minotaure, rue des Beaux-Arts, entame des études à Nanterre, lieu d'éclosion des événements. « Mai 68 fut une convergence, c'est comme si des milliers de petites rigoles avaient abouti au même point, formant un lac d'impatience qui ne pouvait que déborder ».

Après quoi, ce fut pendant tout un mois le cycle des assemblées générales, les utopies et les refus, les discussions passionnées, les manifestations et les nuits d'affrontements. JCB côtoie le Mouvement du 22 mars, Cohn-Bendit et Jean-Pierre Duteuil, se reconnaît pour l'essentiel du côté des actions de La Ligue communiste, affectionne Daniel Bensaïd auquel il rendra hommage en mai 2010 dans le cahier 32 de la revue Lignes. Ce que retient JCB, c'est « l'incroyable vitalité », la très paradoxale légèreté de ces journées, ces foules, ces gestes et ces visages qui ne disparaissent pas totalement : « l'air d'un temps soulevé par une tornade à la fois immense et légère ⦠le tragique de l'Histoire ne fut pas au rendez-vous, peut être pourrait-on dire que de Mai la mort fut absente, et que cela a trait non seulement à la forme, mais aussi à l'essence de ce qui fut avidement cherché en ces jours ».

Marielle Macé, dans un séminaire qu'elle a initié cet hiver à Paris et qu'elle dirigera pendant le prochain semestre à  la Vieille Charité de Marseille, entreprend actuellement  de décrire, sur d'autres plans de la poésie et pour d'autres époques, « une dynamique de nouages et dénouages ». Pour tenter de prolonger ou bien de faire renaître Mai 68, JCB raconte avoir milité de façon méthodique et constante jusqu'en 1972. Simultanément il fréquentait Alain Jouffroy, Max Ernst ou bien Toyen, écrivait des ouvrages qui ont disparu de sa bibliographie, des études à propos de Benjamin Péret et de Jean-Pierre Duprey. Il lui faudra attendre d'autres frayages, ressources et cheminements, la seconde partie des années 1970, la parution des traductions de Büchner et du 20 janvier chez Christian Bourgois pour que son écriture s'affirme véritablement. « Chacun fit ce qu'il put ... La question n'était pas de rentrer dans le rang mais de s'inventer une vie dans un monde transformé, une vie dans laquelle le pli historial de Mai 68 puisse fonctionner comme un souvenir. Accepter que l'arbre était mort, c'était faire un travail de deuil et, comme on le sait, rien n'est plus difficile ni, surtout, plus solitaire ».

Alain Paire

Jean-Christophe Bailly, Un arbre en mai, Seuil, 2018, 80 p., 10â¬

 

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