Aller au contenu

Photo

(Anthologie permanente) Cécile Mainardi, "Histoire très véridique et très émouvante...."


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 17 janvier 2018 - 10:00

 

6a00d8345238fe69e201bb09e966fd970d-75wiExtraits du livre de Cécile Mainardi Lâhistoire très véridique et très émouvante de ma voix de ma naissance à ma dernière chose prononcée.


Je souhaite que le lecteur qui entreprendra la lecture silencieuse de ce livre le fasse en oralisant mentalement ces textes et en pensant fortement à moi. C'est par ce biais, puis-je croire, ainsi que par une troisième opération, indiscernable et imprescriptible celle-là, qu'il aura le plus de chance d'entendre de courtes bandes sonores de ma voix, chimère acoustique ou pas.
Le présent livre ne se propose pas en tant que livre à part entière, il se donne plutôt comme moment d'une composition ternaire, qui se décline en vidéos et pièces parlées.

« On a voulu extraire les voix de la Haute-Égypte de pots en terre cuite, on a imaginé le son de ces voix et le bruissement des corps enregistrés par le mouvement rotatoire de la terre qu'on façonne, gravés dans le sillon de leur structure circulaire comme dans celui d'un disque de phonographe. On a cassé ces pots, avec des marteaux très courts aux manches de craie, et en les enveloppant de fines serviettes de tissu pour qu'ils cassent en morceaux nets et entiers, on a écouté ce qu'on faisait, on s'est tu, on a attendu que des v6rx en sortent, on est resté penchés, on n'a peut-être pas réellement entendu. On n'a peut-être pas réellement attendu. »



o
Quand j'ai un an, ma mère épluche une banane, l'écrase avec du lait. Puis elle me parle et, cuiller par cuiller, me fait avaler ma voix.

o
Quand je nais, ma voix est froissée dans un cri comme un dessin dans une feuille roulée en boule. Écrire, produire des phrases, s'avancer dans une langue est une manière pour moi de déplier/défroisser cette feuille, de la lisser au maximum pour faire voir le dessin. Quel est-il ?

/

11
À 25 ans, je fais ma première lecture en public à la galerie du Dojo en lisant des passages de l'Armature de Phèdre, sans me rendre compte à quel point c'est ma voix que je donne à entendre. Mes parents sont présents dans la salle. Sur une photo prise depuis le fond, on les voit de dos au premier rang en train de m'écouter. Je me demande toujours si leur immobilité est le fait de la photographie.

/

32
Ce mot de moi que je voulais connaître, ce mot de moi que je cherchais, parce que s'y résoudrait peut-être l'équation originale de ma voix, et plus largement de mon être, ce mot où se sidèrerait un rayon de mon identité, à l'état le plus phénoménal, ou le plus vert (le vert étant la couleur la plus implosive en terme d'indication d'un piano dans un pré), ce mot je le connais. J'en joue un des accords sur ce même piano. Autrement dit, il se trouve être l'objet d'un autre texte de ce livre. Et c'est seulement maintenant, en relisant ces pages dans un ordre arbitraire qui met ces deux textes côte à côte (le texte où je cherche ce mot, le texte où je l'ai déjà découvert) que je m'en rends compte.

/

5
À cette occasion, et pour payer en quelque sorte mon tribut à Mallarmé, je me donne pour tâche d'apprendre par cÅur les 111 vers de L'Après-midi d'un Faune. Je m'en récite consciencieusement les vers, strophe par strophe, lors de mes promenades quotidiennes dans le parc du Chalet Mauriac. Parfois, des joggers me croisent alors que je me les répète tout haut. Je crains qu'ils ne m'imaginent en train de parler toute seule. Je baisse la tête, baisse la voix, mais jamais ne m'interromps. Ils penseront que je téléphone, harnachée d'une oreillette. Mais non, le son que produit là ma voix est tout autre, il est celui d'une flûte sourde, il contredit la voix du portable, la voix portative, la voix "kit mains libres", il ne laisse pas les mains libres, il ne laisse pas le corps libre. Il est dans le poing qui se serre, dans les doigts qui s'étirent et qui comptent, il est dans tout ce que je tiens.

Cécile Mainardi, Lâhistoire très véridique et très émouvante de ma voix de ma naissance à ma dernière chose prononcée, éditions Contre-pied, 2016, 36 p., 4â¬, pp.4 à 7 et 10.

 

ag2r2JS0KuI

Voir l'article complet