A Serioscal.
Il y a un lieu, on ne sait si c’est le lieu d’un
Meurtre, mais il y a lieu : c’est un lieu découvert.
C’est une plaine où les trains passent, des trains
Nombreux, mais des trains sans mémoire. Le
Conducteur du train a un trajet sur la carte, pourtant
Il est sans mémoire et il est aveugle. Pire, il n’a pas
Fait d’études. Il ne connaît pas le chiffre, la distance
Qui sépare chaque rail, la distance qui sépare chaque
Homme. Il ne connaît pas non le plus le nom des
Hommes qui travaillent l’acier. Il y a pourtant de
Nombreuses usines qui travaillent l’acier. De
Nombreuses usines composées de nombreux
Hommes. Mais l’assassin court toujours. C’est
Peut-être un homme ou un train, après tout il
Y a si peu de différences entre un homme et
Un train. Ils parcourent ensemble l’étendue du
Crime, l’étendue d’un homme mort, l’étendue
D’une plaine. Il y a de nombreuses plaines où
Les hommes sont étendus, et pas forcément morts.
On ne sait ce que le conducteur aveugle conduit,
Mais on se doute. Il y a des morts dans son train,
Des cadavres étendus dans les wagons. Il y a de
Nombreuses victimes et de nombreux assassins
Dans son train. Mais il conduit, et souvent quand
On conduit on est ivre. Il est ivre, à la fois de la
Plaine, de la vitesse et des cadavres. On est sur
Que l’assassin travaille dans une des usines d’aciers
Où l’on fait les rails comme on fait les hommes.
Dans ces usines les hommes se tiennent à distance,
La même distance qui sépare les rails. On se tient
A distance des assassins comme on se tient à
Distance des trains, on se tient à distance pour
Fumer une cigarette, l’assassin fume forcément
Une cigarette et travaille dans une usine. Il a
Forcément pris une pause pour fumer une cigarette
Et penser son assassinat. Il voit le train passer. Il
Sait que le rail qu’il a fabriqué est déficient, il a
Tout calculé, toute une somme de calcul, le train
Du conducteur aveugle passe et déraille. Une
Assemblée de morts tombent sur la plaine. L’ouvrier
Finit sa cigarette en écrasant du talon la braise. Il
N’y a que des assassins partout, et qu’une plaine,
Immense, pour y laisser des cadavres et des hommes
Qui y repose.