Dans mon trou luxueux courent les rats. Les
Emballages Picard forment une ville à leur
Echelle. Ils dorment dans des paquets de
Cigarette vides, se rassemblent sur des boîtes
De pizza comme sur une place publique.
La faim me domine, elle est la forteresse
De mon âme. Sur mon lit matelassé de billets,
Les chips et le fromage me prennent la main
Vers le sommeil. Les rêves sont de la même
Matière que la raclette et nous sommes fait
De la même matière que les rêves. Mon estomac
Est ma porte d’ivoire, mon initiation maçonnique.
Je lis la presse des rats et j’observe, comme
Un sociologue, une transition. Ils ont appris
A lire sur les slogans des boîtes en carton.
Peut-être vient-elle aussi d’un taux de natalité
Enfin contrôlé car le roi des rats fait couper
De nombreuses têtes, que le groupe dévore
Aussitôt.
Quand je sors de ma grotte, l’haleine puante,
J’associe le café au beau visage de la
Serveuse. Elle associe mon visage au prix
Du café. Je retourne chez moi consommer
Son souvenir, pour parvenir à l’oublier. Puis,
Je mange un marron glacé.
Les rats semblent devenir plus agressifs et
Leurs morsures me réveillent la nuit. Réveillé,
C’est l’occasion d’un sandwich au jambon,
Avec du beurre et des cornichons. Je me rendors,
Les miettes dans mon lit me démangent, elles
Forment comme un bain d’étoiles piquantes et
Dispersées.
Ma barbe reste clairsemée d’huile et de sel, le geste
De ma main qui amène la nourriture à ma bouche
Est si régulier et monotone, qu’il rappelle le mouvement
Des aiguilles sur une montre. A chaque bouchée, le monde
Semble plus rassurant et plus éloigné. Comme chez les
Mystiques, il y a un être dans mon être. Je construis autour
De son besoin d’infini une ceinture de graisse.
Je rêve d’écrire un roman, transcrire mes observations sur
Le monde, mais le roi des rats vient d’interdire toute
Littérature. Je reste toléré sur mon propre territoire
Mais sa milice a dévorée le câble de mon ordinateur.
La fermeture des frontières à rendu le papier trop cher,
C’est un met de luxe pour les grandes familles
Aristocratiques.
J’ai entendu dire au parlement factice des rats
Qu’ils comptaient me dévorer. Je partage pourtant
Avec eux un appétit insatiable, une mauvaise hygiène
Et l’amour des caves humides.
La rumeur enfle dans la ville, on joue sur des
Tambours de la musique militaire et les rats
Sont habillés comme pour une fête. A la porte
De la ville, un trou dans une boite de camembert,
Se tiennent déjà de nombreux soldats, armés de
Cure-dents et de morceaux de verre tranchants.
En réponse, j’ai lâché dans mon appartement un
Chat sauvage trouvé dans la rue. La bataille fut
Epique et le félin a trouvé la mort. Les pertes chez
Les rats ont refréné pour un temps leur ardeur
Belliqueuse.
Du super-marché je ne connais que quelques
Rayons. Je les parcours toujours au même pas
Et j’envie les caddies pleins de légumes et de
Fruits frais. Je suis aussi impressionné par cet
Effort que par les performances des meilleurs
Haltérophiles. C’est peut-être simplement qu’ils
Ne sont pas aussi seul que moi.
Les recettes de cuisine sont pour moi comme des
Hiéroglyphes, ou comme un savoir alchimique,
Esotérique, qu’il m’est impossible de comprendre.
Je reste interdit devant ces secrets comme le héros
D’un roman de Kafka.
A la télévision des rats, il n’y eut plus que chants
Patriotiques et mensonges. On m’accusait de
Tous les maux, on brûlait des portraits à mon effigie.
Les quelques rats pacifiques qu’il restait furent
Sommairement exécutés. Terriblement inquiet, je
Terminais un hamburger froid.
Les rats lancèrent finalement un assaut massif et
C’est dans la nuit que je fus dévoré et digéré. Il y eut
Une grande fête, un grand repas. Moi, j’étais libéré de
Toute angoisse.