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(Note de lecture) Philippe Jaffeux, "Glissements", par Christophe Esnault


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Posté 09 février 2018 - 10:51

 

6a00d8345238fe69e201b8d2d8adb1970c-75wiEn littérature et en poésie, on pourra vouloir approcher une avant-garde, un post-modernisme, et y aller dâun dispositif peut-être pas précisément déjà maintes fois usité, on pourra nommer cela la tentative dâune proposition allant vers une recherche formelle. En 2018, il sera assez difficile en jouant sur le seul mode textuel dâêtre ou de se vouloir novateur, tant tout a déjà été fait et câest conscient de cela que Philippe Jaffeux a néanmoins finalisé / achevé un texte devenu livre et livré aux rares qui voudront bien jouer. Le jeu se situe là : le lecteur travaille pour lire, tout lui est donné, mais à lui de dé/replacer des syllabes, des lettres, des hauteurs de lignes, etc⦠Il joue aussi à sâassurer que ses connections neuronales ne sont pas trop défaillantes. Un des vingt-six fragments du livre (p.14), mais aussi une interrogation sur les noms/prénoms récurrents du texte, mâont causé une difficulté de lecture ; je me suis retrouvé défaillant lecteur, handicapé à savoir comprendre, saisir. Jeté dans une sphère dâincompétences. Dans le monde de lâentreprise, on mâaurait renvoyé vers la lecture de modalités dâapplication dâune tâche dans un monde merveilleux de logistique, de procédures informatiques, dâinscription à des formations⦠Est-ce donc cela ? 26 écrans ou captures dâécran, disposés à la suite dans un fichier Word. Ou une fausse pisteâ¦

Une enfant de sept ans parfaitement éveillée peut lire certains best-sellers dont il ne sera pas utile de citer le nom de lâauteur. Il y a peut-être un jeu de la valorisation narcissique à lire Jaffeux et ce livre là en particulier. La gamine comprendra tous les mots que comprennent aussi, flattés / ou rassurés, les 150 000 autres lecteurs du livre qui raconte une histoire. Être mis en difficulté, sans jamais sây trouver, en lisant Jaffeux sera peut-être un processus même ou semblable ou inversé. Le jeu du plaisir de lire, sans le jeu du relâchement et de lâautomatisme ultra rodé / ronronnant. Est-ce que les phrases devenues - extraites du chaos ! - font le même chemin que quand on les lit dans les Courants blancs et Autres courants, câest-à-dire dans leur portée philosophique/électrique ? À vous de les vivre :

Calcite               une         de         pour         un         vacillant        
           cristallise    chute      mots         peser    vide
Pyrite            les        d'une       rongée    l'éclat        trace
          montre    dents        page          par         d'une        bizarre
Diopside          l'unité       perception   dialogue      des           
              creuse         d'une               qui            avec     accidents
Jaspe            lâopération         danse        fabriquer    graphique
         capture                 dâune           pour                 un

Jeu autour du nombre 26. Suites / accumulations / séries / variations / images-textes / textes-images et leurs effets. Sans lâexpliciter, il sâagit pour un écrivain de redire quâil consacre sa vie dâauteur à lâalphabet.

Dans le jeu social, on peut user exclusivement ou autant que possible du langage phatique, en lisant Glissements, en dialoguant avec lâauteur sur son texte, je nâai plus besoin dâévoquer le givre pour poétiser lâéchange sans échange. Emballer la vacuité et le jeu ouvert de la vacuité⦠Si elle est encore là, elle ne pèse plus. Lire Glissements, parler de Glissements me joue le jeu de la conscience au monde, à un monde dâimages, monde sonore et à une esthétique de ces mondes-là. Refuser la réalité et ses logistiques / violences, câest peut-être cela être poète. Un certain monde nâentre pas dans Glissements. On a déjà écrit / dit que lâécrivain ou lâartiste doit rendre compte ou photographier son époque. Jaffeux, lui, joue avec, pour, - et fabrique des images â 26 lettres. Jaffeux ne semble ni avoir été avalé par lâalphabet, ni être vaincu par lâalphabet, la partie quâil a engagée quinze ans plus tôt avec lui prendra simplement fin quand il cessera dâécrire.
Ma troisième lecture du texte sera sans doute aléatoire, page ouverte ici ou là. Le texte nâest à ce jour et pour moi pas encore épuisé. Câest à cela que lâon reconnaît / distingue - peut-être - la poésie..

Philippe Jaffeux, Glissements, éditions Lanskine, 2017, 55 p., 12 â¬

Les Courants blancs et Autres courants sont publiés à LâAtelier de lâAgneau
Merci à François Huglo qui a rédigé à ce jour, je le crois,  le plus éclairant texte sur Glissements.

 

 

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