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« Le crayon mentholé »


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1 réponse à ce sujet

#1 michelconrad

michelconrad

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Posté 22 mars 2018 - 06:27

Me fascinent les premiers mots, d'une simplicité extrême,  d’un poème écrit à Voronej, en 1931, par Ossip Mandelstam :

 

« Non, ce n’est pas la migraine , mais donne-moi le crayon mentholé »,

 

mots qui sonnent de façon plus mélodieuse dans les dactyles de la version originale :

 

« — Нет, не мигрень, — но подай карандашик ментоловый, — ».

 

Quand je m’efforce de trouver la raison de la fascination qu’exercent ces simples mots sur moi, il m’apparaît d’abord que ce début de poème relève de ce qu’Apollinaire appelait le « poème-conversation : « Lotte l’amour rend triste, Ilse la vie est douce... ». D’emblée, le poème de Mandelstam se présente comme la suite d’une conversation : « non, ce n’est pas la migraine » répond le locuteur à quelqu’un, pour nuancer ce qui vient de lui être dit. Ce « mal-être », dont il est visiblement question de façon implicite, le locuteur demande qu’on lui en apporte le remède :   le « crayon mentholé ».

 

Le mot « crayon » ou plutôt le « petit crayon » , car il y a , en russe, un suffixe ayant valeur de diminutif, (« карандашик »), correspond à la présentation de ce remède, sous forme de bâtonnet que l’on appliquait sur la peau aux endroits douloureux. Mais la connotation du mot « crayon » renvoie aussi au champ lexical de l’écriture, et c’est ainsi que nous pouvons nous dire que c’est l’écriture qui peut soulager, aussi, d’une certaine façon, ce mal-être. Le mot « mentholé » , par ailleurs, a pour moi (et peut-être pour moi seul) une connotation mélancolique, car le mot me renvoie à un poème, « l’élégie dix-septième », (construite, elle aussi, en partie, comme un poème-conversation), de Francis Jammes :

« Et, me sentant vieilli, j'ai pris dans le fossé, je ne sais pas pourquoi, une tige de menthe. »

 

Quand nous lisons un poème, c’est d’une certaine manière, nous-mêmes que nous déchiffrons, à travers lui. Quand, sans raisons apparentes, quelques mots de ce poème nous émeuvent plus particulièrement, c’est parce que ces mots suscitent en nous un écho, une vibration tout autant spirituelle que sonore.

 

 

22/3/18



#2 M. de Saint-Michel

M. de Saint-Michel

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  • Une phrase ::Je suis quelqu'un pour qui poésie et respiration ne font qu'un.

Posté 22 mars 2018 - 07:17

En effet, quand nous lisons un poème, nous nous "lisons" à travers lui. Autant de lecteurs, autant de lectures.