Après la journée grise, le soleil, au dehors, est un soleil de fête. Je sors dans le jardin, dans le soir apaisé. J’ai pour écritoire une imitation de colonne dorique fabriquée en ciment par mon prédécesseur dans la maison, celui-là même qui se faisait expédier son courrier ici avec, pour seule adresse, « Riverside », suivi du nom du village. La rivière, ce soir, fait peu de bruit : seuls quelques clapotis émanent d’elle. Ici et là, des oiseaux s’expriment et se répondent.
Chaque jour est une sorte d’acte théâtral. L’auteur de tout cela n’a pas à redouter, ce soir, quelque incident de mise en scène inattendu : il ne s’agit que de la descente du soleil jusqu’à la ligne d’horizon et de l’imperceptible montée du soir. Combien de fois me reste-t-il à contempler ce spectacle ?
Huit heures sonnent, au clocher. Depuis un demi-siècle, j’écris : ai-je apporté quelque chose à la beauté du monde ? J’ai peut-être voulu, banalement, laisser un sillage de moi, lequel se refermera, comme tous les sillages, comme celui de ce canard colvert solitaire qui nage, en cet instant, à la surface de l’eau et descend la rivière dans le sens du courant.
D’autres oiseaux, plus « nocturnes », peut-être, semblent avoir pris le relais des précédents : les cris ont changé de timbre, de tonalité. Le soleil vient de s’abîmer, faisant baisser brusquement, tout à la fois, la luminosité et la température. Un couple de canards se pose à grand bruit, faisant jaillir l’eau de la surface de la rivière. « Acta est fabula ».
10/4/18
"Les roseaux" (10/4/18). Tous droits réservés.
