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(Note de lecture) Béatrice Bonhomme, "Dialogue avec l’anonyme", par Michaël Bishop


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Posté 02 mai 2018 - 02:32

 

6a00d8345238fe69e20224e03690db200d-75wiPeut-on, ose-t-on, espérer continuer à vivre splendeurs et beautés au cÅur de lâabsence ? Dialogues avec lâanonyme choisit de creuser profond ce qui reste de lumineux dans ce vide vécu, en explorant les rugosités comme les ressurgissantes douceurs, et ceci implacablement, tendrement, pressentant pourtant ce qui, dans tout ce qui est, échappe à tout geste dâinscription possessive, orgueilleuse, toute stricte subjectivité même, comprenant lâécart entre le tellurique et le rêve, écrivant, se lovant dans cet écart même, en vivant la précaire, insaisissable et mouvante immatérialité. Poème en six volets, avec son prologue et son épilogue, Dialogue avec lâanonyme déroule avec discrétion et une délicate intensité cumulative les éléments de sa rythmique et fluide conscience. Voici le poème de la reconnaissance, de la gratitude, une poésie-pour, profondément quoique aveuglément orientée, puisant dans le désir et le sentiment dâune vastitude cosmique, mystique même où baigne tout faire, tout poïein axé sur le pressenti. « [P]our ce regard que tu asâ¦//⦠pour les tableaux dâune conflagration de sourceâ¦//⦠pour ce palmier tombé dans le choc sourd de la terreâ¦//⦠pour cet olivier qui se lie au poteau électrique ⦠pour ce jardinier qui balaie quelques fleurs devant sa porte ⦠pour ton visage avec son vrai regard, enfin nu, presque aveugle, au dehors, ouvert sur lâintériorité dâun choc de lumière ». Des ellipses, un certain émiettement de la conscience face à sa foisonnante émergence â câest la condition même de lâinscription de cette invisibilité affective, psychique que vit et, spontanément-lentement, décode la poète â et pourtant reste cette subtile et rêveuse liquidité dans lâarticulation que lâon trouve partout dans lâÅuvre de Béatrice Bonhomme.

Une écriture bien ancrée même si sâélaborant « dans la culbute de lâinfini ». Pierres, fleurs, insectes, arbres, chatte, soleil, murs, maison, mer, partout la terre déplie ses richesses vécues avec un sentiment dâintime proximité, de profonde osmose, même. Et, au cÅur de tels frôlements et échanges, le poème de B. Bonhomme cherche et parvient à saisir quelque chose de lâintemporalité, de lâaspatialité de notre traversée des phénomènes de lâêtre, de notre conversation intérieure avec eux, ce dialogue fait, comme écrit Yeats, dâ « un peu dâair », trace viscérale mais flottant dans lâimmensité « anonyme », indicible, la lumière de sa substance « brûlée », lisons-nous.

Ode, certes, mais Dialogue avec lâanonyme hésite également entre élégie et chant, entre poème dâadieu, de deuil, et louange. Long et patient, avec des insistances, des reprises et des anaphores qui en trahissent la délicate intensité affective et méditative, le poème, je suis tenté de le croire, a quelque chose de lâepithalamium, dans la mesure où, ici, malgré tristesse et angoisse, il parvient à épouser, non pas la spécificité dâune seule identité bien-aimée, mais, en excédant les signes, plutôt cette vaste, cette fourmillante et inimaginable présence, au-delà de toute disparition, tout devenir strictement mortel, que la Chandogya Upanishad appelle, tout simplement, Cela. Épousant, parfois péniblement et pourtant avec une tâtonnante intuition, un certain sacré refusant de céder au profane qui, ainsi, se sacralise au sein de son inconcevabilité, « secret ignoré, comme une chose précieuse et méconnue, comme une espérance folle et anonyme ».  

Michaël Bishop
 
Béatrice Bonhomme. Dialogue avec lâanonyme. Collodion, 2018. 56 pages.

Lire un extrait du livre dans Poezibao

 

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