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(Note de lecture) Gwen Garnier-Duguy, "Alphabétique d’aujourd’hui", par Pascal Boulanger


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Posté 04 mai 2018 - 09:51

 

6a00d8345238fe69e20223c8486f43200c-75wiTandis que les esthétiques du silence et du vacarme se confondent, Gwen Garnier-Duguy poursuit son Åuvre poétique en occupant toutes les faces, visibles et invisibles, nocturnes et solaires, qui sâinscrivent dans la chair du réel. Avant tout, il y a la confiance dans la parole parlante, source dâénergie dans laquelle se succède une foule dâimages, dâépiphanies, qui cristallisent lâinstant vécu et médité. Dans ce recueil, la succession des versets prend appui sur un mot dont la première lettre suit lâordre dâun alphabet qui inaugure le poème. Le verset-projet sâinscrit, par conséquent, dans lâarchitecture dâun paysage du tout ; il part du détail et du concret pour atteindre un bâti, « comme le projet des fougères câest la forêt ».

Toute la question est de savoir si, en sâaccroissant, les choses que lâon traverse ne risquent pas de perdre leur esprit dâenfance retrouvé à volonté. Car la santé, comme la logique dâenthousiasme, bute sur « la prostitution publicitaire », sur lâinsignifiance, sur « le spectacle ennuyeux de lâéternel péché » (Baudelaire), qui consiste à se compromettre avec la puissance de mort aggravée qui caractérise, dorénavant, nos sociétés postmodernes. Néanmoins, pour Garnier-Duguy, « le vieux fond chrétien quâon voudrait oublier sonne encore à nos oreilles ». Sans doute, à lâoreille de quelques rares écrivains qui ne désirent pas prospérer dans la fabrique du remodelage humain. Un poète du sensible chrétien comme Garnier-Duguy sait quâil faut payer sa dette, et il la paie en se mettant à lâécoute dâune parole qui parle toujours au-delà dâun horizon replié « ne laissant plus apparaître sur le sable des finistères que défaite et nostalgie et mélancolie et tristesse. » Il paie sa dette au père, garant de la loi du langage, en lui rendant certaine sa survivance, à travers, par exemple, le simple passage et le bel envol dâun geai :

« (â¦) Aujourdâhui je suis allé au cimetière, sur la tombe de mon père (â¦)
Cette impression que tu me vois, que tu es avec moi, que tu te préoccupes du bien-être de ta famille.
Nâest-ce-pas toi qui donnes signe quand un geai, mon favori dâentre tous les oiseaux que tu nourrissais en ton jardin des dernières années
se pose près de ton nom avant dâemporter mon regard dans son envol sur le revers du ciel ? »

Un poète, attaché à la manifestation de la vie, ne considère pas que les mots ont une réalité suffisante pour imposer une combinaison imaginaire. A lâinverse, il respire dans lâinstant en convoquant tous les temps afin de creuser lâimaginaire du poème. Ainsi, jamais rien ne manque et pourtant le manque est ressenti. Ou plus précisément, câest la guerre qui est ressentie et traversée, celle, dâabord sémantique, qui ne nomme plus le réel mais impose ses normes et ses mensonges. Puis celle, mercenaire et bien réelle, de la techno-science qui favorise la montée aux extrêmes à lâheure où les deux nihilismes (le passif et lâactif) sâunifient. Meurtres, attentats⦠lâhomme occidental passivement consentant nâest-il pas devenu lâeffigie vivante de la référence haïe ?

La poésie du politique semblait moribonde après lâéchec du poème partisan. Garnier-Duguy sait parfaitement bien quâon impose aujourdâhui lâhorizontalité de la série et du nombre au détriment de la verticalité de lâÅuvre qui toujours sâouvre au duel fécond avec lâhéritage. Le poème politique ici noue un rapport charnel et métaphysique avec la vérité. Il sâagit alors de se tenir éloigné dâune époque qui a déclaré la guerre à ses artistes et à ses penseurs et de se tenir dans un lieu qui entre dans la gravitation joyeuse de tous les possibles dévoilés :
« Joie du matin, la feuille est blanche, tout est possible, tout est pensé, rien nâest encore monté de lâinforme, la guerre véritable se joue ici puisque le monde nâexiste pas. »
Un poète de cette trempe échappe au désir mimétique et à la rivalité qui en résulte, il est trop inactuel pour aliéner sa liberté de parole.

Pascal Boulanger

Gwen Garnier-Duguy : Alphabétique dâaujourdâhui, huile de Roberto Mangu, Lâatelier du Grand Tétras, 12â¬.

 

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