Aller au contenu

Photo

(Brèves de lecture) Herman Melville, Jacques Josse, Jean-Christophe Belleveaux


  • Veuillez vous connecter pour répondre
Aucune réponse à ce sujet

#1 tim

tim

    Administrateur

  • Administrateur principal
  • PipPipPipPip
  • 5 689 messages

Posté 04 mai 2018 - 09:36

 

6a00d8345238fe69e20224df3019f8200b-75wiHerman Melville
Moby-Dick ou Le Cachalot
Édition et trad. de l'anglais (États-Unis) par Philippe Jaworski. Illustrations de Rockwell Kent
Collection Quarto, Gallimard, 2018
1024 p. 146 ill., 25⬠- sur le site de lâéditeur

« Dâautres poètes ont mélodieusement chanté lâantilope à lâÅil tendre et le joli plumage de lâoiseau qui jamais ne se pose ; plus prosaïque, je célèbre une queue ».
Herman Melville, Moby-Dick, chap. 86.  Traduction de Philippe Jaworski.

Philippe Jaworski vient de composer pour la collection Quarto de Gallimard un volume de 1024 pages (25 euros) qui contient sa traduction de Moby-Dick et de nombreux documents, parmi lesquels se trouvent notamment les trois lettres bouleversantes que Melville adresse à Nathaniel Hawthorne en 1851 (lâannée de Moby-Dick).
Dans son introduction, « Souffle là ! Souffle là ! Câest Moby Dick », le traducteur pointe avec une merveilleuse acuité lâapport dramatique dâun point-virgule.  Il écrit :
Mais qui se souviendra de ce point-virgule qui suspend un instant le bond ultime de la proie sâéchappant vers un avenir, ou un devenir, sans contour ?
En effet, Jaworski signale comme personne avant lui ne lâavait fait la partition de cette phrase du chapitre 135 (le dernier avant l« Epilogue ») :
« Le harpon fut lancé ; le cachalot touché bondit en avant ; avec la rapidité dâune flamme, la ligne se dévida dans la rainure ---et sâengagea. »
Et le traducteur commente : Au troisième et dernier jour de chasse, câest ainsi que le « cachalot exterminateur » disparaît aux regards, son monumental effacement [je souligne] marqué par un discret, presque imperceptible point-virgule.
Une tête, une queue, le point-virgule, par son graphisme même a quelque chose de la baleine⦠Une queue : une séquelle, et un formidable rebond.

Claude Minière



6a00d8345238fe69e20223c8486e5e200c-75wiJacques Josse
Débarqué
La Contre Allée, 2018
160 p., 16â¬


Le narrateur du récit est lâauteur lui-même qui, dix ans après la mort de son père, reprend le fil ininterrompu dâun lien discret avec un père qui nâaura pas vécu la vie quâil rêvait de vivre, celle dâun marin (au long cours), mais celle dâun débarqué dans une vie à terre malgré lui, à cause dâune maladie. Cette biographie trouée (Jacques Josse avance vers son père par fragments), ou autobiographie du père (dâune vie dâun fils dans la vie dâun père), est celle dâun silencieux qui aura légué lâart du silence évocateur à son écrivain de fils. Avec la pudeur quâon lui connaît, Jacques Josse, en son rythme de flux et reflux maritime et paisible, sâavance dans des souvenirs dâune précision frappante, très souvent douloureux. Fils dâune laveuse de morts, Jacques Josse vit en compagnie des morts, dont il collecte des morceaux de vie, et colle à la mort, celle quâil nomme « la tombeuse », emmanchée « dâun croissant de lune bien aiguisé » ; élaborant livre après livre sa propre « légende de la mort ». Sa légende familiale est peuplée de morts, celle dâun frère, dâune sÅur, sur lesquelles Jacques Josse revient avec une acuité dâévocation bouleversante et qui mènent vers une vie qui sâéteint depuis longtemps et progressivement pour partir en fumée dans le dernier texte du livre.

Jean-Pascal Dubost



6a00d8345238fe69e20223c8486e68200c-75wiJean-Christophe Belleveaux

Territoires approximatifs
Faï Fioc, 2018
112 p., 10â¬

Un poète hybridement monstrueux rassemblant les traits de Lautréamont, de Baudelaire, de Nerval et de Cendrars erre à travers le monde dâune phrase de début de troisième millénaire, « une marée noire de substantifs poisseux » ; héraut dâune moderne mélancolie, il dit : « je vais regarder de loin mon propre gémissement » ; et « je » nâest pas un autre. Câest un Renonçant qui va jusquâau bout de son « Graal absurde », lâEnnui, mais à lâencontre du courant de sa fatigue, ne gisant pas dans sa geinte. Si sa chair est triste, lasse, et son corps pesant, il va sans hélassitude, car avec un acharnement contradictoire dâamant de la vie et dâamant de la mort. Sa langue est bouillonnante et charnelle, le mal-être ardent, le poème fiévreux ; dâun poète qui « envisage la stupeur comme ligne de mire ». Le rythme fait entendre une voix qui a charrié les plaisirs de la vie, les charrie encore et accumule mille ans de souvenirs et de choses vues, en chaotique, car il y a « afflux sensoriel, tourbillon des affects, une chauve-souris dans le beffroi ». Quelque chose envoûte dans cette voix écrite qui ne vous berce dâaucune illusion, ne porte aucune promesse de sauver le monde, mais qui prend lâinstant des mots et de la phrase à bras le corps, avec de lâamour noir.

Jean-Pascal Dubost

 

yqL9SHj0JKk

Voir l'article complet