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(Note de lecture) Gérard Cartier, "L’ultime Thulé, jeu de l’oie", par Jean-Marie Perret


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Posté 15 mai 2018 - 09:48

 

6a00d8345238fe69e20224df32eaee200b-75wiCette Ultime Thulé de Gérard Cartier est une île de verbe. On y chasse moins le phoque ou la sirène quâon nây jette de clairs mots sur la page. Arrimer de syntaxe cette côte arctique aperçue dans les brumes, lâériger en un continent où la parole cesserait de flotter, pour que se fixe en nous ce qui trouble ou rassure ; voilà lâobjet. Ou le projet.

Thulé, poème de partage. Il y a la raréfaction du vocable et la distension du vers. Tout sâécarte à mesure quâun pas est fait et, brusque, le retour en un point naguère traversé nous apprend quâil y a des cases : il faut jouer, parcourir sans arrêt. Mais les dés sont jetés, sans quâon sâen avise, par des mains non-humaines ; une voix sans visage énonce, à mesure, les points.

Le poète sâamuse de tant de sorts. Il feint dâanimer la partie en feuilletant, distrait, dâanciens grimoires. Invente des escales - patience - radoube son curragh, met en panne, repart. Ainsi va-t-on jusquâau bout du livre, parce que dans ce Jeu de lâoie qui vaut découverte du monde, le lecteur ne sâennuie jamais. Mieux,

tout lâocéan bruissant / dans sa langue féconde, [...] bientôt accourt à sa rencontre / un peuple de dauphins - danseurs des vagues / les lèvres fendues lâÅil brillant - comme / sâils comprenaient les mots mystérieux / et voulaient eux-aussi être loués ⦠(.64.)

Saint Brendan nâest pas loin : le vieux moine irlandais embarque à nos côtés. Du récit de sa très ancienne traversée vers âlâOuest surnaturelâ (Paul-louis Rossi), dâîle en île et de crique en port depuis lâIrlande, le poète tire matière et couleur, organisant le chant pour quâil aille, lui-aussi, à son but. Et tout cela est tellement bordé, ferlé, arrimé, quâun regard en arrière seulement signale qu'après la Lande on a passé âMer dâEcosse, Quarantièmes, Mers du tropique et Atlantique nordâ pour, par maintes Relâches, approcher Lâultime Thulé : autant de chapitres ou cahiers sâassemblant avec naturel pour ce livre de délectation vigoureuse et iodée.

Reste à pousser son pion (ou son esquif) jusqu'à la table des pièces, et câest régal :

La Lande, le Couchant, la Beauté - Justice, Chimères, Tumulus, les Images - Élégie, Réfectoire, le Silence, Sommeil - le Colosse amoureux, Crânes, les Îles, Femmes, les Fruits dâor - la Carte, Tourbillon, Lagunes, la Providence - les Rites, le Scriptorium â¦

Ce sont là quelques-uns des cent vingt titres ou germes de poèmes, quâune main autorisée a tiré des pages (qui parlent par elles-mêmes) pour les assembler sur dâultimes feuillets où, seuls dâentre les lecteurs, les plus habiles viendront les savourer.

Au-delà, rien qui ait forme, hiver et pénombre perpétuels, rien qui loue par la voix, ciel vide, rien dâhumain, tempêtes, grésil, et dans les mâts, incessant, le chant de gorge des vents hiberniens. (.81.)

Câest dire de quels tourments ce grand poème, ce livre, nous tient saufs ! - A lâinstar de Paul-Louis Rossi, quâil cite, de Derek Walcott, dâEdgar Poe ou encore de Jean-Claude Caër, son contemporain, Gérard Cartier lâa fait dââpre matière, de navigations hasardeuses et compliquées et de quêtes longuement rêvées, pour quâen demeurent en nous, lecteurs, fort souvenir et intense lumière⦠et Thulé enfin jusquâà la fin des temps où refonder le monde (51.) â¡
 
Jean-Marie Perret.

Gérard Cartier, Lâultime Thulé, jeu de lâoie. Flammarion, 2018, 180 p., 18â¬

 

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