analphabète dans notre langue,
chien ou agneau parmi les loups,
loup farouche parmi les chiens,
loup-garou au milieu des hommes,
il était venu d'un de ces pays de l'est
à l'histoire mouvementée, souvent
tragique, comme un Ulysse à l'envers,
un Ulysse fuyant son pays d'origine,
par mer, au gré des courants furtifs,
marin de fortune, passager clandestin,
ou à travers tous les pays d'Europe,
dans le chaos fiévreux des guerres,
combattant pour quel camp
dans ces temps sombres, inquiets ?,
pour l'un d'abord, pour l'autre
après peut-être, c'était son secret
que nul n'a jamais essayé de percer
sans doute par pudeur ou par lâcheté,
de crainte de découvrir trop d'horreur,
trop de souffrances ou de remords
on ne lui connaissait ni femme ni maison,
il couchait ici ou là au hasard des saisons
et des travaux, souvent à la belle étoile
ou dans quelque mazet abandonné
en bord de vigne ou Dieu sait où
Elékés,
(son nom, ou peut-être un nom d'emprunt),
était chez lui ici, partout et nulle part,
sur tous les chantiers, dans les vignes,
dans les garrigues, au bord des étangs,
prêt à rendre service, à prêter main forte,
quelle que soit l'heure où le lieu :
Voi, voi, voi !
c'était les seuls mots clairs qu'il prononçait,
en dehors d'un gromelot, d'un charabia
que ni lui ni les autres ne pouvaient démêler
et qui lui servaient sans doute de masque,
d'armure pour cacher quelque lourd secret
ou simplement pour se retirer du monde
et des hommes, à la poursuite d'on ne sait
quels songes, quels fantasmes, quelle folie,
nés de son passé
et qui lui avaient forgé un destin
d'homme sauvage dans notre pays sauvage
des Corbières, son vrai pays , son Ithaque
Voi, voi, voi !
il a disparu un jour, emportant son secret,
nul registre ne porte son nom, nulle tombe,
il s'en est allé comme il était venu,
sur les ailes du vent