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(Note de lecture), Michel Collot, "Le parti pris des lieux", par Antoine Emaz


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Posté 27 juillet 2018 - 10:14

 

6a00d8345238fe69e2022ad35e436d200c-75wiLe rapport à lâespace est ancien et important chez Michel Collot ; il suffit de reprendre ses livres sur « la structure dâhorizon » (PUF, 1989) ou « la Pensée paysage » (Actes Sud/ENSP, 2011), par exemple. En ce sens, le titre de ce livre de poèmes enfonce le clou : la poésie exprime notre rapport au monde, dans le même geste poétique, elle est une exploration de soi et du dehors. Câest viser, ou saisir, pour Collot, « un certain accord entre moi et le monde, entre le ciel et la terre, entre la nature et les hommes », ne serait-ce que « le temps dâun instant », un « moment dâadhésion fugitive » (p9). Il y a la brièveté et la fragilité (de soi, du monde), mais cette poésie est tournée vers le bonheur, malgré tout. On trouve une expression assez ramassée de cette expérience, entre éblouissement et extase, à la fin dâun poème sur une marche en montagne : « Je ne fais plus quâun avec la chair radieuse du monde. » (p39) Au détour dâune page, le poète se revendique clairement du côté du lyrisme, mais en redéfinissant celui-ci de manière particulière : « Lâécriture du paysage (â¦) participe dès lors du lyrisme, qui nâest plus, et nâa sans doute jamais été, lâexpression du moi, mais celle dâun sujet hors de soi qui explore son propre inconnu à travers lâétrangeté du monde et des mots. » (p12)
Dans le titre, on aura noté le pluriel « des lieux » : il ne sâagit donc pas ici de tenter dâépuiser un lieu dâélection, comme dans une certaine mesure du Bouchet à Truinas par exemple. Collot nous place face à une multiplicité de paysages, regroupés par familles selon les sections du livre. Ce qui reste constant, câest lâécriture de lâexpérience ou de lâémotion ressenties ; il nâest donc pas étonnant de voir exprimé le goût du voyage, « comme si jâavais besoin dâaller partout faire lâépreuve de ma relation intime au monde »(p13), pour favoriser et multiplier cette « rencontre entre le moi, le monde et les mots, qui fait du lieu un paysage » (p88).
Les parties du livre sérient donc ces expériences en même temps quâelles montrent la complexité et la variété de nos relations possibles au dehors. Dans Impressions méditerranéennes (pp19 à 30) domine le rapport à la nature du Sud et le poème mêle description, rêverie, sensation. Câest aussi la nature qui prime dans Eaux et montagnes (pp 13 à 44), avec une part plus grande accordée au corps, le marcheur éprouvant le paysage autant quâil le voit. Mais dans ces deux sections, un relevé précis des termes « phrase, mot, poème, écriture, parole », notamment en fin de texte, montrerait quâil nây a pas séparation entre lâéprouvé et lâécrit mais bien plutôt une sorte de glissement ou de nourrissement de lâun à lâautre ou de lâun par lâautre.
La ville nâest pas oubliée. Dans Fleurs de fer (pp 45 à 50) et Urbanités (pp 51 à 70), lâespace parisien est contrasté ; il est souvent anxiogène, marqué par le vertige, lâenfermement, la verticalité et lâalignement. Il va falloir saisir la poésie au vol, comme une « furtive déchirure entre les lignes » (p65), le plus souvent grâce à une lumière particulière, celle de lâaube par exemple (pp55, 56, 58â¦), ou bien par une rencontre inattendue dans lâanonymat de la foule : « Tant de visages fermés jusquâà ce quâentre deux portes lâéclair dâun sourire soudain donne corps à lâespoir. » (p65)
Les autres parties du livre présentent des perspectives différentes, dont chacune, développée plus longuement, pourrait faire lâobjet dâun livre à elle seule. Dans Autobiogéographie (pp7 à 18), câest le rapport entre le paysage et le temps : le lieu peut être porteur dâune mémoire personnelle, notamment dâenfance. « Avec les paysages font retour bien des visages et des noms depuis longtemps oubliés » (p18). Dâune autre scène (pp71 à 84) nous fait basculer dans le monde du rêve où lâespace est susceptible de déformations, mutations brusques, métamorphoses. Le rapport du corps au dehors change aussi et devient plein de surprises souvent cocasses, dont lâauteur sâamuse : « Après avoir salué, je saute de lâestrade, qui est assez haute, et, au lieu de retomber sur le sol, je reste en lâair et mây maintiens un long moment en battant des jambes. Puis, imitant les mouvements de la brasse, je fais en nageant le tour de lâassistance, qui admire et applaudit. » (p77)
Lieux à lâÅuvre (pp99 à 123), la dernière section, ouvre encore un autre chantier : le poète nâest plus seul, dans un rapport direct au paysage, il interroge lâÅuvre dâun(e) artiste (photographe, peintreâ¦) pour lequel la relation à lâespace, la « texture de la terre » (p43) est déterminante. Ces pages sont donc plus réflexives, mais non moins sensibles, pour tenter de capter à chaque fois un regard et un travail singuliers. Ainsi pour les Åuvres de Constable, Tal Coat, Rafols-Casamada, Gardair, Le Corf, Noblet, Iznardo, Savey, Ghesquière⦠un peu comme si le poète retrouvait une confrérie de créateurs, ou pour le moins un réseau dâartistes, qui partagent son parti pris des lieux.

Antoine Emaz

Michel Collot, Le parti pris des lieux, Editions La lettre volée, 2018, 126 p., 19â¬.



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