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(Note de lecture), José-Flore Tappy, "Trás-os-Montes", par Yvan Guillemot


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Posté 25 juillet 2018 - 10:08

 

6a00d8345238fe69e2022ad383cf5e200d-75wiLe livre sâouvre sans bruit sur lâévocation dâune des plus anciennes églises de la Grèce, au cÅur de lâîle de Naxos. Le lecteur est convié aux confins de la chrétienté, à travers le temps et lâespace, et invité à se recueillir devant une « vierge peinte / aux couleurs décaties / presque oubliée / sous ces voûtes humides ». À ce qui reste de cette figure biblique, effacée par lâusure, le poète répond par un lyrisme sans emphase et dépouillé des chevilles du discours. Ici, au seuil dâune méditation qui va nous amener à lâautre extrémité de lâEurope, ses mots résonnent dâéchos sourds.

Où allons-nous ? À Trás-os-Montes, au Portugal, région la plus isolée et plus éloignée de Lisbonne. Lâauteur y est-elle en résidence ? En séjour dans un espace familier ? Aucune note ne le précise. Les données personnelles ont été, elles aussi, comme effacées. Néanmoins, à la fin du livre, deux noms soulignent des affinités électives : Hemingway à qui est dédié un poème, et Anne Perrier (1922-2017) in memoriam. On connaît les liens dâaffection mutuelle qui ont uni lâauteur et « lâécouteuse du Petit pré » (selon la belle formule de Philippe Jaccottet). À nâen pas douter, leurs Åuvres se rejoignent dans la saisie du monde sensible et le choix de se ranger du côté des humbles. Avec Hemingway, la proximité tient plus de la référence : son engagement, notamment dans la guerre dâEspagne, la prise de conscience des impasses de lâindividualisme, le primat de lâéthique ou encore le recours à un langage « vrai ».   

Venons-en à lâarchitecture du livre. Après le prélude grec et lâévocation de lâéglise de « Panaggia Drossiani » viennent deux sections équilibrées, intitulées « Avant la nuit » et « Lâheure blanche ». Lâinscription « poèmes », sous le titre de la couverture, est mise entre parenthèses et fournit une première indication. Si chaque page confirme que lâon a bien affaire à des poèmes, très vite on sâaperçoit que les fils subtils quâils nouent entre eux forment un tout dont les éléments gardent cependant leur indépendance. La première section, dédiée « à Maria », suit une figure féminine à la « maison » et au « potager », dans ses tâches quotidiennes. Ses multiples activités ont le don de rendre le monde habitable. Au cÅur dâune altérité où le « je » nâapparaît quâavec parcimonie, elles se métamorphosent en événements, en épiphanies.

« Peu de gestes suffisent à éloigner
La pénurie. Mais ce peu a du poids
Quâelle soulève sans répit
Du matin jusquâau soir »

La seconde section décrit la nature environnante « quand on quitte la route » et quâon se laisse « conduire au hasard de la pente par lââcre parfum des cistes ». Quâest-ce qui se joue là, sur ces maigres sentiers éloignés des lumières de la ville et du bruit des moteurs ? Quâest-ce qui pousse le poète « au bord des friches incultes, tout au fond des ravines » ? Peut-être cet autre poète suisse Fabio Pusterla, grand arpenteur de pistes de chemin de fer abandonnées, pourrait nous fournir une réponse ! En attendant, les images valent pour elles-mêmes. Bruissantes dâallitérations, elles semblent nous dire que si lâon veut échapper à ce monde quadrillé dâantennes, il faut se tourner vers ce qui est invisible ou inutile aux lois du marché. Alors sera donné « cet instant fragile, où le ciel lilas se brise / comme coquille dâÅufs sous la pression du doigt, / ouvrant la voie à lâheure blanche⦠».

Depuis Hangars (éditions Empreintes, 2006) et quelques rares publications avec des artistes, en particulier Juan Martínez, José-Flore Tappy nâavait rien proposé à ses lecteurs. Dans lâintervalle, elle nâa pourtant jamais cessé de promouvoir les Åuvres des autres (en éditant, en traduisant, en préfaçantâ¦), un peu au détriment de son propre travail de création. Mais il suffisait de patienter car, pour ce poète exigeant et authentique, vivre et écrire sont indissociables.

Yvan Guillemot

José-Flore Tappy, Trás-os-Montes, La Dogana, 2018, 120 p., 25â¬



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