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(Hommage) à Christophe Marchand-Kiss, par Véronique Pittolo


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Posté 28 juillet 2018 - 08:40

 

Véronique Pittolo rend ici hommage à Christophe Marchand-Kiss, décédé le 8 juillet 2018, à Chateaubriant à lââge de cinquante-quatre ans

Christophe Marchand-Kiss, un homme pressé.
1964 - 2018

6a00d8345238fe69e2022ad3848a39200d-75wiÉcrire sur, autour, ou à propos de Christophe Marchand-Kiss, câest faire la généalogie dâune époque.
Poète, critique dâart, traducteur et directeur de collection, son Åuvre était aussi sa manière dâêtre, son personnage. Je le rencontre en 1990, alors que Les Lettres Françaises venaient de se reconstituer, sous les auspices de Jean Ristat et de Henri Deluy. Nous écrivons des articles sur lâart contemporain et la photographie. Je revois son visage à lâaffût, sa parole dynamique, ses propositions intempestives mais toujours passionnantes, et sans craindre de tomber dans le cliché, je dirais que Christophe était un jeune intellectuel fortement ancré dans une époque qui ne se berçait pas (plus) dâillusions.
Son premier roman, Lâanthropologue (*1), montre des existences plus ou moins à la dérive : Kohut et Mouscon refont le monde jusquâà lâaube, en dignes petits enfants de Guy Debord, bien longtemps après lâexplosion utopique et brève de mai 68. Nourri des fictions de son adolescence, de cinéma et de littérature, il y avait en lui ce désenchantement spécifique aux années 70, quelque chose du Alexandre de La Maman et la putain, des héros de Rohmer. Une génération construite sur des désillusions (le sida, lâavancée brutale du néo-libéralisme, la trahison sociale-démocrate), mais optimiste tout de même. Sur le terrain dâune jeunesse rennaise, alors étudiant en lettres, il est le témoin dâune new wave finissante, des concerts de Marquis de Sade et des premières chansons dâEtienne Daho. Câest aussi avec cela quâil se construit, à Paris au début des années 90, curieux dâart contemporain, de poésie américaine et de politique, doué dâune mémoire phénoménale, il ne craignait pas de remettre en questions ses propres idéaux lors de mémorables conversations, parfois polémiques, toujours vives.

Directeur de collection aux éditions Textuel, auteur de biographies sur Léo Ferré et Serge Gainsbourg (*2), dâanthologies remarquées (John Cage, Maïakovski, Pasolini, Shelley), co-fondateur, avec José Lapeyrère et Elisabeth Jacquet, de la revue Zoum Zoum , il explora les interstices de la fiction et de lâessai, de la prose et du vers.
Sa phrase rythmée, heurtée, en accélération permanente, son JEQUOI dâAlter Ego, indiquent un désir de dépasser la narration traditionnelle sans se poser (se reposer) dans une poésie établie. Écrire des nouvelles, traduire des poètes et des romanciers, participer à des catalogues, à des expositions, relevait chez lui dâune même énergie, dâune rapidité de pensée et de transformation de sa propre pensée. Sa connaissance de lâart, de la performance, lui fit comprendre la plasticité des écritures contemporaines, lâidée que poésie et prose échappent aux normes du genre, des genres, ainsi quâil le souligne dans lâexcellente préface à Poésie ? détours (*3 ), qui amorce les réflexions passionnantes de Jacques Sivan, de Vannina Maestri, de Jérôme Game.

Lâépoque est ouverte. Trop. Gueule béante elle se repaît de tout, recycle tout.
â¦.
Le poète ne fait quâagencer, de telle façon que le poème puisse lâêtre à nouveau, et devenir multiple.

Le pli, la variation, la dissémination qui ouvrent Alter Ego montrent quâil avait intégré les leçons de Deleuze comme les soubresauts entêtants de Gherasim Luca. Malgré son pessimisme récurrent qui lâa fait nous quitter trop tôt, à 54 ans, il me semble quâil croyait en la révolution⦠pas celle de 1789 ni exactement celle de Marx ou de Lénine (souvenirs de conversations interminables cependant), mais peut être le phare brillant, le devenir miraculeux dâune époque non encore advenue, sur le sillage de Mandelstam, de Maïakovski, dans la parole emphatique de Léo Ferré ou la résignation blasée de Gainsbourg.
Et il est tout de même étrange que paraisse en avril de cette année, quelques mois avant sa disparition, son ultime ouvrage intitulé CRS, De Charonne à Charlie Hebdo (*5). Nous savons que nous vivons lâépoque Charlie, les médias évoquent une génération Bataclan⦠Soit.
Mais que penserait Christophe Marchand-Kiss, ironique ou peut-être sérieux, de cette affaire hystérique de dérapage politico-policier qui encombre aujourdâhui, en temps réel, nos écrans et les couloirs de lâAssemblée ? Il dirait Que fait la police ?
Il dirait quoi son JEQUOI ? 

Cette question sa question formulée sans point
Dâinterrogation peut-être déjà une affirmation
Transmise par son horreur des mots vertige
Relief accidenté torrent qui jaillit en blanche
Ecume â¦
*6


Véronique Pittolo

(Une soirée hommage est prévue à La Maison de la Poésie de Paris en septembre).


*1 Lâanthropologue, CompâAct, 1995.
*2 Léo Ferré, la musique avant tout, Textuel, Paris, 2003.
*3 Poésie ? détours éd Textuel, 2004
*4 Alter ego suivi de Biography, éditions Textuel, Paris, 2005.
*5 CRS, de Charonne à Charlie-Hebdo, Flammarion, 2018.
*6 Alter ego, id.


source de lâimage

veTBcAdJZbQ

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